Petite fille en manifestation portant une banderole "We need to understand". Traduction : Nous avons besoin de comprendre.

Manifestation pour la défense du climat. Traduction : "Nous avons besoin de comprendre." (Crédit : bones64 - Pixabay)

Comédie et écologie : les activistes dédramatisent

Bien qu’elle prenne de plus en plus de place dans le débat public, rares sont les artistes qui osent s’attaquer à la question écologique, notamment dans le cinéma. Les réalisateurs français Éric Toledano et Olivier Nakache ont franchi le pas cette année avec Une année difficile, long-métrage mettant en scène un groupe de militants écologistes. Cette comédie étonne ces derniers par son réalisme.

Avec près de 900 000 entrées au box-office, Une année difficile est indéniablement l’une des comédies françaises les plus marquantes de 2023. Un succès prévisible au vu du casting, mené par le trio Jonathan Cohen, Pio Marmaï, Noémie Mérlant, mais qui représente en réalité une première. Jamais une comédie française sur la question écologique n’aura autant fait parler d’elle. Une occasion de tourner en dérision le sujet qui peut être perçue comme dangereuse à l’heure de l’urgence climatique.

Une immersion plutôt réaliste

Le film suit l’arrivée de deux hommes surendettés au sein d’un groupe d’activistes écologiques non-violents. Nathalie, 21 ans, bénévole pour Greenpeace Lyon, trouve la représentation de ce groupe plutôt réaliste. Coordinatrice au sein de l’association, elle reconnaît dans le film des modes de fonctionnement et même des rituels, comme le fait d’applaudir silencieusement afin de ne pas couper la parole.

Paul, 34 ans, est membre du mouvement Alternatiba Besançon, il se souvient de sa surprise lors du visionnage : « je ne m’attendais pas à ça, on dirait que les réalisateurs font partie de notre mouvement ». C’était une des volontés affichées des réalisateurs, Eric Toledano et Olivier Nakache, qui ont expliqué plusieurs fois pendant la promotion du film avoir rencontré des activistes et avoir tout fait pour connaître le milieu avant de le parodier. La bonne foi du duo derrière Intouchables semble avoir mis Paul en confiance. Le bisontin avait peur d’un film visant à discréditer les militants sans y connaître quoi que ce soit. Il a été plutôt rassuré et admet que les personnages des activistes sont plutôt ridicules dans le film. Cela ne le dérange pas. Selon lui, un vrai travail d’immersion a été effectué.

De son côté, Nathalie constate la bonne estimation des personnes qui composent les groupes :
« chez Greenpeace, il y a une majorité d’hommes blancs d’entre 30 et 50 ans qui proviennent de milieux aisés et citadins, et j’ai retrouvé ça dans le film ». Elle regrette d’ailleurs cet entre-soi et espère que le film en appellera d’autres et, à terme, incitera d’autres populations à les rejoindre. La jeune femme se réjouit alors du succès de la comédie, que les gens soient venus pour le sujet ou non.

Une exposition bonne à prendre

Plus globalement, Paul et Nathalie sont plutôt en accord avec le fait d’être moqués. Selon eux, toute exposition médiatique est bonne à prendre, car l’objectif premier de Greenpeace et d’Alternatiba est de transmettre le message écologique, ce qui est plus facile avec une certaine notoriété. Paul admet quand même que voir les militants ridiculisés n’est pas facile : « certaines blagues d’Une année difficile m’ont touchées, mais c’est sûrement parce qu’elles sont vraies et qu’elles nous renvoient la réalité dans la figure ». Heurté ou non, le professeur d’histoire sait qu’il serait contre-productif pour les activistes de répondre négativement : « ce n’est pas en réagissant mal à une simple comédie que l’on va se rendre sympathiques aux yeux des gens ». Aux yeux du bisontin, mieux vaut donc être découvert par une comédie qu’être ignoré.

De même, le financement d’Une année difficile par Canal+, qui avait été reproché aux réalisateurs avant la sortie, ne suscite pas l’indignation des militants. Ils s’accordent sur le fait qu’il vaut mieux un film sur l’écologie financé par Vincent Bolloré, même si c’est hypocrite, que rien du tout. Nathalie va même plus loin : « Vincent Bolloré se tire une balle dans le pied en finançant un film qui parle de ceux qui luttent contre lui ». Là encore, l’exposition prime sur tout le reste dans l’esprit de l’étudiante.

Le message écologique avant tout

En fait, Paul et Nathalie partagent une indifférence sur la façon dont ils sont perçus en tant qu’activistes. « Si on voulait être bien vus, on ne ferait pas tout ça », ironise celui qui fait partie d’Alternatiba depuis quatre ans désormais. Mettre son ego et sa réputation de côté au service d’un message : voilà qui serait la définition du militantisme pour Paul. Ainsi, la sortie d’Une année difficile ne représente pas un événement très important pour lui, mais est la preuve d’une évolution qu’il considère positive.

Nathalie préfère s’attarder sur la propagation du message et des velours écologiques. Ainsi, même si elle reconnaît que le cinéma est une forme non- négligeable de soft power, l’étudiante soutient qu’il ne faut pas surestimer l’impact de celui-ci : « les gens ne sont pas naïfs au point de ne pas différencier fiction et réalité ». Elle explique que les rencontres avec les français se passent toujours bien et que ceux qui ont une mauvaise image des militants changent généralement d’avis après une discussion.

Comme Paul, Nathalie ne voit pas en Une année difficile un tournant historique. Pour elle, d’autres films qui n’en ont pas la prétention servent finalement plus la cause écologique. C’est par exemple le cas d’Avatar : « le principe de défendre la biodiversité d’une planète contre un envahisseur qui veut la détruire, c’est globalement ce qu’on fait chez Greenpeace ». L’étudiante pense alors que les enfants pour ne citer qu’eux, se sensibilisent bien plus à la cause climatique en s’émerveillant devant un blockbuster qu’en rigolant devant des personnages de militants.

Sans avoir révolutionné quoi que ce soit, Éric Toledano et Olivier Nakache ont peut-être ouvert une boîte de Pandore qui fera apparaître de plus en plus le sujet écologique dans les salles obscures, pour le meilleur et pour le pire.

Erwan CLER

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.