Bonus réparation textile : les avis divergent chez les artisans

Le bonus réparation textile annoncé à l’été par le gouvernement a débuté le 7 novembre. Il permet des réductions sur les réparations de vêtements et chaussures dans les commerces participants. Un mois plus tard, toujours peu d’artisans se portent volontaires pour se labelliser. Tous estiment la mesure nécessaire mais inadaptée aux petits commerçants. 

Depuis le 7 novembre, il est possible de bénéficier d’une réduction pour faire réparer des vêtements ou chaussures. Ce bonus réparation, inauguré par le ministère de la Transition écologique, a pour but d’inciter financièrement les Français à réparer plutôt que de racheter ou jeter. Une mesure de lutte contre l’immense problématique du gaspillage et de la surconsommation dans le secteur de l’habillement, l’une des industries les plus polluantes du monde. 

« Réparer c’est faire durer et c’est bon pour votre porte-monnaie », incite le site internet dédié au label. Nommé Refashion, il répertorie les commerces partenaires sur une carte interactive. On constate rapidement que la récente labellisation a du mal à séduire les artisans. À Lyon, pourtant troisième ville de France, seules 7 boutiques sont affiliées. Lorsqu’on se penche sur leur profil, on constate le monopole d’une grande chaîne de fast-fashion : Zara. Ses quatre boutiques lyonnaises font partie de la liste des labellisés et proposent de réparer les vêtements de la marque. Un paradoxe qui donne à questionner le bien-fondé de la mesure. 

Les couturiers et cordonniers sont étonnamment peu à adhérer au bonus réparation. La question des causes se pose. Les avantages ne manquent pas et le site Refashion n’hésite pas à les rappeler : créer du trafic dans la boutique, augmenter le chiffre d’affaires, développer et fidéliser les clients, gagner en notoriété ou encore valoriser son savoir-faire.

Tout est fait pour faire adhérer le client, moins pour faire adhérer le commerçant. Pour l’acheteur, rien de plus simple que de bénéficier du bonus réparation. Il suffit de se rendre dans une boutique partenaire et les réductions sont appliquées directement sur les pratiques et produits éligibles. Vous verrez ainsi votre facture baisser de 8€ pour la pose d’un patin ou la couture d’un collage sur votre paire de chaussures et jusqu’à 25€ pour le changement de doublure complexe d’une veste. 

« Il fallait attendre presque deux mois pour être payé »

Si le client est roi, c’est grâce au commerçant. Fadoua, couturière dans sa boutique indépendante, était d’abord attirée par la mise en place de ce label, mais a vite déréalisé : « C’est à nous de faire les démarches, donc plus de paperasse à faire. Quand je me suis renseignée, il fallait attendre presque deux mois pour être payé. Or, depuis les confinements du Covid, les artisans n’ont plus de trésorerie ». Eric, cordonnier depuis 35 ans, qualifie la mesure de « lourdeur administrative ». Pas question pour lui d’y participer, il ne veut pas être rémunéré à rebours. Habitué de ce genre de démarches, il assure qu’elles sont toujours très lourdes.

Bérangère est l’une des seules couturières dans l’agglomération lyonnaise à adhérer au label. Contacté en début d’année par Refashion, l’artisane, d’abord sceptique, s’est laissée convaincre par le dispositif. « Mon entreprise a tout juste deux ans, c’était le moyen d’attirer de nouveaux clients, de fidéliser ». Après un mois d’essai, Bérangère l’assure, elle ne reviendra pas en arrière. « En moyenne, le bonus réparation attire cinq clients par jour, qui ne viennent que pour ça ». Pour elle, la charge administrative ajoutée en vaut la peine. Il lui suffit de prendre en photo le vêtement abîmé puis réparé et y joindre la facture sur le site de Refashion. Le reste est automatique, elle reçoit un mois après le remboursement de la réduction.

Les petits commerces désavantagés ?

Bérangère l’avoue elle-même, si elle s’est permis une charge de travail supplémentaire et des remboursements différés, c’est parce que son atelier est chez elle, lui évitant de nombreuses charges. « Je comprends que la plupart des petits artisans ne puissent pas se permettre de percevoir une partie de leur revenu un mois après ». 

Les grands gagnants de ce bonus réparation sont les chaînes de magasins en couture et cordonnerie. Une enseigne est particulièrement représentée partout en France dans la liste des commerces partenaires : Mister Minit, spécialisé en réparation de chaussures et de montres, en duplication de clés et en gravure de plaques. En boutique, rien n’a changé pour les employés, qui n’ont ni paperasse supplémentaire ni salaire en retard. Tout est assuré par le niveau supérieur, les vendeurs ont simplement à appuyer sur le bouton de la caisse correspondant à la réduction. Avec ses 200 points de ventes en France, Mister Minit est leader sur son marché. La labellisation des chaînes de magasins préoccupe les commerces indépendants : « Les démarches sont beaucoup plus faciles pour eux. Le bonus réparation va leur attirer encore plus de clients en dépit des petits artisans », s’inquiète Fadoua.

Les commerces réticents s’accordent tous sur un point : la mesure est louable et il est nécessaire d’agir pour lutter contre la surconsommation de vêtements. Ce qui pose question, c’est la forme qu’a pris l’idée. Fadoua aurait souhaité que les démarches soient à la charge des clients : « Cela aurait permis les mêmes avantages tout en soutenant les petits artisans. Les clients ne vont pas faire réparer des vêtements tous les jours alors cela n’aurait pas représenté beaucoup de paperasse pour eux. Je suis sûre que beaucoup seraient contents de soutenir leur commerçant ». Pour Eric, on se trompe d’échelle : « Il faut agir à la base de la chaussure, en luttant contre celles qui viennent de Chine et sont de mauvaises qualités ». 

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.