Le bras de fer entre les “sans facs” et la présidence de l’Université Lyon2 : au cœur de l’occupation

Le samedi 15 octobre, après 6 jours d’occupation, le collectif des sans facs a été délogé des bureaux de la présidence de Lyon2 par une cinquantaine de CRS. La rédaction était sur place quelques jours avant, mercredi 12 octobre, pour suivre l’Assemblée générale et prendre la température d’un mouvement qui fait trembler les instances universitaires.

Les sans facs et leurs soutiens organisant l’occupation. Crédits image : itiaanna sur instagram.

Une trentaine de sacs de couchage jonchant le sol, des provisions en pagaille, de larges banderoles surplombant les fenêtres des bureaux de la présidence : c’est le portrait de l’occupation des sans facs entamée le lundi 10 octobre vers 10h. Ce collectif se forme chaque année pour obtenir des places, par tous les moyens, pour les étudiant.es refusé.es en licence ou en master.
Des petits yeux nous accueillent avec un grand sourire en ce “J+3”. Les jours sont comptés, tout comme les heures. On saisit rapidement que l’intention n’est pas de maintenir l’occupation éternellement. Même si la fatigue se fait sentir, la détermination prend le dessus. Aujourd’hui, 8 inscriptions ont été obtenues sur les 17 demandées. Une petite victoire qui redonne du baume au cœur et permet de commencer l’Assemblée générale avec de nouvelles perspectives.

“Une occupation inévitable” pour les sans facs, “un dialogue de sourds” pour la présidence

C’est une campagne attendue, un marronnier de la lutte pour le collectif composé d’étudiant.es sans formation et de militant.es de l’UNEF et de Solidaires Étudiant-e-s. La mobilisation des sans facs est nationale et, même si Nanterre fait figure de proue dans ce mouvement, le collectif de Lyon2 est en bonne place. Cette année à Lyon2, plus de 23 684 demandes ont été formulées en Master pour seulement 3 723 places. La sélection fait des ravages. Dès juillet, le collectif a recueilli les témoignages et les dossiers d’une soixantaine d’étudiant.es refusé.es. Des commissions d’études des dossiers ont ensuite été mises en place dès la rentrée. Nathalie Dompnier, présidente de l’Université contactée après l’occupation, précise que celles-ci sont “complètement en dehors des circuits classiques.” Elles sont donc “non satisfaisantes par la force des choses.” Elle rappelle le principe d’égalité, qu’une réponse doit aussi être apportée aux 179 autres étudiant.es ayant fait des recours aux rectorats. Dans l’occupation, Sam, 21 ans, militant de l’UNEF Tacle (tendance radicale de l’UNEF), se présente en chemise à carreaux rouges pour nous donner son avis sur ces commissions. “Il y a quelques semaines, la dernière a été désastreuse, on nous proposait des solutions seulement en UFR de droit, les autres directeurs de master n’avaient pas l’air au courant des dossiers, tout le monde était à la ramasse.” Dès lors, “l’occupation était inévitable” pour Sam. Selon Mme Dompnier, “c’était devenu un dialogue de sourds avec des positions qui ne bougeaient plus.” Plus de cinquante étudiant.es, “en mettant le pied dans la porte”, ont donc envahi les bureaux de cette dernière le 10 octobre avec des provisions et du matériel.

Le bâtiment de l’Université occupé par les sans-facs : les bureaux de la présidence. Crédits image : itiaanna sur instagram

Une occupation “parfaitement huilée”

Peu à peu, chaque portion des bureaux a été occupée. On nous indique par exemple qu’un couloir parallèle n’a pu être acquis que ce mercredi. Une véritable conquête avec territoires défendus par tour de garde. “Tout est parfaitement huilé”, me souffle Mélanie (NDLR : le prénom a été anonymisé selon la volonté de l’interrogée), sans fac de 27 ans, “avec des tours de course et la charte d’Amiens est très bien respectée.” Cette charte, adoptée par la CGT en 1906, décrète que lors d’une action générale, aucun syndicat ne doit promouvoir sa paroisse. L’étudiante concède cependant que la question des tours de ménage provoque des conflits en interne puisque ce sont principalement les femmes du collectif qui s’y attellent. Lors de l’AG, l’ensemble des tâches sont discutées en insistant sur les tours de garde. Tout est pensé pour faire face aux intrusions des vigiles qui, justement, tentent une percée à deux face à la cinquantaine d’étudiant.es regroupé.es pour discuter. Ils sont vite refoulés et la discussion reprend de plus belle avec un débat sur ce mode d’action radical qu’est l’occupation.

Des sans-facs en détresse, une période “très angoissante”

L’intervention de Sarah, militante à l’UNEF Tacle, rappelle que ce mode d’action est là pour mettre fin au plus vite à une situation “très angoissante” pour les sans facs. L’exemple de Mélanie, en situation de handicap, est révélateur. Celle-ci a vécu un moment difficile “avec un entourage très inquiet” après s’être vu refuser l’entrée en Master de Sociologie. L’étudiante n’a pas pu remplir complètement son dossier à cause d’un livre non rendu à l’Université de Grenoble il y a 4 ans. Elle tente de nombreux recours depuis mais rien n’y fait, l’administration bloque. Elle s’est tournée vers le collectif et a eu assez vite “confiance en le syndicalisme.” “Le collectif se sacrifie vraiment pour nous” déclare-t-elle. Un sacrifice qui s’est avéré salutaire puisque le lendemain de notre venue, elle a finalement été acceptée. Mme Dompnier concède que, alors que le département de Sociologie ne répondait pas aux demandes de la présidence, c’est bien l’occupation qui a précipité les démarches. “On a un peu tordu le bras des composantes” déclare la présidente.

Nathalie Dompnier, présidente de l’Université. Crédits image : Université Lyon2.

“Un mouvement d’ampleur nécessaire pour remporter des victoires”

En cette belle soirée d’octobre, le nombre de personnes présentes à l’Assemblée générale ne dépasse pas la trentaine. Tout l’enjeu est là et Sana, étudiante refusée en Master de Droit social, propose par exemple de diffuser le message sur le compte Instagram très suivi (40 000 abonnés) d’une de ses amies. “C’est le nombre qui peut permettre de remporter des victoires” affirme Sam. Des victoires comme les inscriptions du jour ou le lancement d’une procédure permettant l’exonération des frais d’inscription pour les étudiant.es hors UE. Encore une fois, c’est le lancement de l’occupation qui a accéléré les décisions et permis à ces étudiant.es de payer, non pas plus de 2700 euros, mais 57 euros afin de s’inscrire à l’Université. Après avoir obtenu le statut étudiant, iels pourront se diriger vers le Crous pour “faire une demande d’exonération classique” affirme Nathalie Dompnier.

Après coup, malgré la venue des CRS en fin de semaine, cette occupation “a été un succès, elle a fait bouger les choses” selon Sam. L’Assemblée générale s’est clôt le mercredi sur un appel à rassemblement le lendemain suivi de la diffusion du film Carré rouge sur fond noir. Ce film retrace la grève étudiante de grande ampleur de 2012 au Québec qui a fait plier le gouvernement. Un exemple à suivre pour les sans facs qui savent que, pour dépasser le cadre de Lyon2 et mettre fin à la sélection, une mobilisation pareille est indispensable.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.