« Faire un choix économique, c’est faire un choix écologique », entretien avec William Honvo

Le spécialiste de l’économie explique, dans un entretien à Horizons médiatiques, la place clé de l’économie dans la lutte contre le réchauffement climatique et la nécessité de comprendre ces enjeux pour saisir les choix de société.

William Honvo est agrégé d’économie. Soucieux des enjeux environnementaux, il vient de publier un roman graphique, avec l’illustratrice Julie Bouvot, qui fait le pari de rendre accessibles les grands concepts de l’économie de l’environnement (taxe carbone, finance verte, économie du bien-être…). Sorti ce 17 octobre, « Les économistes sauveront la planète (avec un peu d’aide) » nous fait suivre l’aventure d’Elise, dont le potager est menacé par la pollution, et Martin, étudiant en économie convaincu que cette science a réponse à tout. Un voyage à tous les niveaux de décisions bercé par l’humour et les références à la pop-culture.

Chloé Goupil, journaliste : Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

William Honvo : Pendant mes études, j’ai constaté qu’on pouvait faire un master d’économie en n’ayant quasiment aucune notion d’économie de l’environnement. On apprend un certain nombre de théories qui ne sont pas du tout transposables aux problématiques environnementales. Ensuite, quand je suis passé du côté de l’enseignement, j’ai vu que les étudiants ou les conversations à table se portaient beaucoup sur l’environnement, mais que les gens n’avaient pas tous les outils pour comprendre certains enjeux. Il fallait un manuel qui permette de vulgariser, de démystifier ces questions avec un médium qui puisse toucher tout le monde, alors je me suis orienté vers la bande dessinée.

Qu’est-ce que vous répondriez à quelqu’un qui ne voit pas le lien entre économie et écologie ?

Il y a une première approche étymologique. L’économie, littéralement, c’est l’organisation de la maison, de l’Etat. C’est faire des choix qui nous semblent pertinents avec des ressources limitées, et c’est la spécificité de l’écologie : les ressources sont particulières et souvent uniques. Si une espèce disparaît, elle est détruite à tout jamais. Il y a un autre angle plus actuel. En termes de politique publique, quand une décision est prise, cela paraît très économique (baisser les prix, les modifier ou les geler) mais en réalité, cela oriente et modifie les comportements et par-là entraîne des conséquences sur la planète. Enfin, il y a une perspective historique. Parmi les travaux des premiers économistes, l’un des courants de pensée, le physiocrate, fait l’hypothèse que toutes les richesses viennent de la terre. L’agriculture en est le parfait exemple. En réalité, économie et écologie sont indissociables. Faire un choix économique, c’est faire un choix écologique.

Quel est l’avenir de l’économie dans ce contexte de ressources limitées ?

Continuer à croître de manière disproportionnée sans tenir compte des générations futures et de l’impact de nos comportements, mathématiquement ce n’est plus envisageable. Il faut pouvoir retrouver un équilibre et réaliser que consommer, c’est faire une ponction sur la planète qui a des effets irréversibles. Cela se joue à tous les niveaux. Au niveau individuel, en changeant un peu ses habitudes, mais aussi et en premier lieu au niveau des Etats, des entreprises.

Quel est le rôle des économistes dans la lutte contre le changement climatique ?

L’économie a un grand pouvoir, elle peut orienter la société sur le très long terme. Elle a une responsabilité au niveau de la conception des politiques publiques. Faire le choix économique de préserver une parcelle ou d’emprunter pour encore améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, c’est faire le choix de préserver davantage la planète. Il y a une autre responsabilité, c’est l’accompagnement des conséquences du changement climatique. Si vous augmentez le prix du pétrole, ce sera un choc pour les populations les moins aisées. Les économistes vont avoir ce rôle, de plus en plus important, de s’assurer que la transition soit juste et tienne compte des réalités de distribution des revenus et d’égalité sociale.

Quel est selon vous le plus gros défi qui se pose aux économistes dans cette lutte contre le changement climatique ?

Il y a un point essentiel, c’est la pluridisciplinarité. Ce sont des choix qui ne peuvent pas être fait en raisonnant qu’au niveau économique, il faut faire appel à d’autres matières. C’est pour cela qu’on a choisi ce titre : « Les économistes sauveront la planète (avec un peu d’aide) ». C’est un problème qui échappe en partie à l’économie, parce qu’il est avant tout physique. L’économie va être un maillon de la chaîne, mais ne changera pas tout.

Avez-vous été un Martin, un jeune étudiant en économie qui pense que cette science a réponse à tout y compris à la crise écologique ? Comment avez-vous déchanté ?

J’ai eu un peu cette phase. J’ai commencé l’économie en étudiant les physiocrates, puis au fur et à mesure que mes études avançaient, j’ai remarqué qu’on ne parlait plus du tout de la planète. J’étudiais des modèles hors-sols où il y a du capital, des machines, du travail… L’économie s’est un peu mise à flotter, en oubliant qu’elle était branchée sur des systèmes naturels. C’est bien beau de faire ces modèles, mais à quel point sont-ils transposables dans la réalité ?

Si les lecteurs ne devaient retenir qu’une grande leçon de ce livre, vous aimeriez que ce soit laquelle ?

Sur la forme, la leçon principale est qu’il ne faut pas craindre l’économie puisqu’elle permet de comprendre les choix de société. Quand le gouvernement annonce une baisse sur le prix à la pompe ou un nouvel accord pour protéger la biodiversité, c’est important de comprendre ce qu’il y a derrière, les enjeux de ces décisions. Sur le fond, c’est plus simple, c’est que dès à présent il faut agir pour protéger la planète et à tous les niveaux. La priorité n’est pas de savoir quelles mesures il faut mettre en place, mais de mettre en place une mesure, puis l’accompagner pour qu’elle soit juste.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.