Le documentaire 2.0 : du slow journalism sur une toile toujours plus rapide

Capture d'écran de la home page du webdocumentaire "Prison Valler, l'industrie de la prison" de David Dufresne & Philippe Brault
Capture d’écran de la home page du webdocumentaire “Prison Valler, l’industrie de la prison” de David Dufresne & Philippe Brault

Le webdocumentaire, un certain avenir du documentaire ? Depuis un certain nombre d’années, ce type d’œuvres investit Internet, des chaînes leur dédient des plateformes, des auteurs, souvent des journalistes au départ, et des sociétés de production se lancent dans l’aventure. Un nouveau champ de la création audiovisuelle qui ambitionne d’apporter un regard innovant et place l’internaute-spectateur au cœur du processus créatif. Avec le recul, que recouvre réellement ces documentaires 2.0 ?

La promesse d’un nouveau champ de la création audiovisuelle

Dès 2005, avec « La Cité des mortes », puis « Voyage au bout du charbon », « Prison Valley. L’industrie de la prison », les auteurs (venant du journalisme et du photojournalisme) avaient une obsession : comment affirmer la place du documentaire (média de profondeur et plus long et/ou lent par définition) sur internet (média de l’immédiat) ? Internet et les média participatifs ont donné la réponse : placer l’internaute-spectateur au centre pour raconter avec lui, parfois en temps réel, des histoires adaptées à ces nouveaux supports.

Le documentaire internet, son industrie et son économie se sont structurés sur ce paradigme. De nouveaux producteurs (Upian, Honkytonk, Darjeeling) sont apparus quand d’autres, plus anciens (Agat Films, Les Films d’Ici, Capa), ont habilement capitalisé sur leur savoir-faire pour investir ce nouveau champ de la création audiovisuelle. Les diffuseurs (Arte, France Télévisions, Radio France, Le Monde, Ina.fr) ont affiné leurs projets sans cesse plus nombreux et semblent se tourner clairement du côté de l’innovation, délaissant les projets plus classiques. Le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), partie prenante de l’essor du documentaire internet depuis ses débuts, a renforcé sa politique d’accompagnement. En cinq années de fonctionnement, la commission des Nouveaux Médias a aidé 360 projets dont une centaine sont d’ores et déjà réalisés et en ligne. En 2012, 95 projets ont été soutenus pour un montant total de 2.4 Millions d’euros.

La bataille du slow journalism perdue, mais pas la guerre

Deux ans plus tard, l’espoir s’est un peu tari. Le défi de l’immersion du spectateur, de sa plus grande participation au processus de création, et de sa mobilisation n’a pas été complètement rempli. Le documentaire internet reste encore confidentiel dans son exposition et ses audiences, morcelé dans ses consultations. Il est surtout devenu un mot valise derrière lequel se range un peu tout et son contraire, des œuvres multimédias les plus exigeantes (notamment celles de l’ONF/Office national du film au Canada) jusqu’au diaporama sonore d’entreprises détaillant leurs activités. Il n’a pas réussi à concurrencer la force d’abstraction de certains documentaires où l’acuité du regard de l’auteur demeure la pierre angulaire. Il est resté au stade de la promesse ni complètement tenue, ni complètement manquée. L’espoir subsiste, donc.

Le rapprochement entre le documentaire et le jeu vidéo pourrait constituer une des pistes de sa concrétisation. Deux projets sont visibles, propulsés par Arte : « Type : Rider », jeu d’aventure autour de la typographie produit par Agat Films, et « Fort McMoney », développé au Canada par Toxa, qui plongera le joueur dans l’enfer d’une ville canadienne dévolue à l’exploitation des sables bitumineux. D’autres expériences devraient également prolonger la réflexion sur les modalités du documentaire aujourd’hui? Avec les Films d’Ici, Arte a lancé depuis le mois de janvier dernier l’expérience « On y va !, 1914 dernières nouvelles », qui raconte au jour le jour et en photos la montée vers la première guerre mondiale.

 

Tous ces projets témoignent de l’extrême vitalité de la création. Néanmoins, sa pérennité dépend de l’affirmation de la place de l’auteur, des histoires qu’ils souhaitent raconter, des narrations innovantes qu’ils mettront en œuvre et du choix assumé du Web comme le plus bel espace d’expérimentation.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.