Burkina Faso : « les journalistes se sentent plus libres »

moussaEn octobre 2014, le président burkinabé Blaise Compaoré a été chassé du pouvoir par le peuple, après 27 ans de règne. Après la mise en place d’un gouvernement de transition et une tentative de coup d’État avortée, un nouveau chef d’État légitime, Roch Marc Christian Kaboré, est élu le 29 novembre 2015.

Nous sommes allés rencontrer Moussa Sanon, un journaliste burkinabé qui a écrit un livre sur le régime de Compaoré, pour savoir si ces changements politiques majeurs avaient eu un impact sur la pratique du journalisme dans le pays.

La pratique du journalisme a-t-elle changé depuis la chute de Blaise Compaoré, et plus précisément depuis la mise en place du nouveau gouvernement Kaboré ?

Je pense qu’il y a eu du changement. Au temps de Compaoré, on ne peut pas dire qu’il n’y avait pas de liberté, mais cette liberté était sous contrôle, surtout vers la fin de son deuxième quinquennat. La presse d’État était contrôlée, et il arrivait que le ministre ou son secrétaire général fasse irruption dans une rédaction pour vérifier si un reportage était correct. Ça concernait principalement les reportages sur les meetings de l’opposition politique : ils donnaient des consignes pour que ces manifestations n’aient pas une très grande couverture médiatique.

Je tiens à préciser que j’ai moi-même été victime de ce régime : je faisais partie des journalistes qui dénonçaient ces pratiques, ce qui m’a valu non seulement de perdre mon poste de rédacteur en chef, mais également d’être muté dans une autre ville. Il a fallu la chute du régime Compaoré pour que je revienne.

Et maintenant ?

Ces pratiques ont cessé. On le voit physiquement, personne n’intervient plus dans les rédactions. Je pense que les journalistes se sentent plus libres, même si je ne suis pas dans leur tête. Il n’y a pas d’autocensure. Il y a aussi des émissions sur la radio nationale dans lesquelles des gens peuvent appeler pour donner leur avis, même si c’est pour critiquer le gouvernement. Ce n’était pas possible avant.

Compaoré était au pouvoir depuis plus de 25 ans. Il s’était donc construit un réseau important avec les chefs de publication de tout le Burkina. Ces patrons sont-ils restés en place ?

Il y a des médias qui ont disparu avec la chute de Compaoré : c’est bien la preuve que le pouvoir les finançait. D’autre avaient encore la nostalgie de l’ère Compaoré au début, mais aujourd’hui ils ont changé, on le sent. Ils sont en quelque sorte en train de travailler avec le nouveau pouvoir.

On passe donc presque d’une presse pro-Compaoré à une presse pro-Kaboré ?

Chez les médias privés, c’est un peu ça, oui. Certains ne cherchent qu’à être en bons termes avec le pouvoir pour bénéficier d’avantages. Ça peut être un danger, c’est sûr. En plus de ça, le nouveau ministre de la Communication [Remy Djandjounou] dirige une chaîne de télévision privée. Je ne vois pas comment il pourrait être critique envers le gouvernement dans de telles circonstances, c’est comme si l’État possédait cette chaîne.

Et qu’en est-il des médias publics ? Si vous découvriez que Kaboré détournait de l’argent par exemple, pourriez-vous en parler ?

Je ne suis pas rédacteur en chef, mais je sais que si je tombe sur une affaire de ce type, ils ne me laisseront pas en parler. Les rédacteurs en chef et les directeurs de publications sont dans une logique de conservation de leur poste. Ils ne laisseront jamais un journaliste menacer leur emploi.

La façon de faire du journalisme est également différente ici, vous attaquez moins la classe politique. Est-ce par respect pour les autorités ou vraiment par peur de perdre son poste ?

Il y a des journaux qui le font, mais c’est une minorité. C’est vrai qu’il y a quand même une culture du respect chez nous, la plupart des journalistes se privent de ce droit. Vous vous battez plus pour avoir l’information en Europe, j’ai l’impression. Chez nous on est un peu fainéants, je dirais, on se contente du minimum.

Et depuis que Kaboré est élu, de nouveaux changements sont observables ?

Kaboré vient de prendre le pouvoir, c’est tout récent, donc je préfère ne pas juger le maçon au pied du mur. Mais pour la première fois, le ministre de la Communication est issu du privé. C’est un gros changement, cela prouve que l’État veut mettre le privé et le public sur un pied d’égalité.

L’autre changement important depuis Kaboré concerne les voyages présidentiels. Autrefois les journalistes du public étaient les seuls invités, alors qu’aujourd’hui, le secteur privé est aussi convié à couvrir ce type d’événement.

Par contre, des lois ont été votées par le parlement de la transition, avant Kaboré. Il y a surtout deux textes sur les délits de presse qui m’ont interpellé. Normalement, avec ces textes, un journaliste ne peut plus être emprisonné à cause de son travail, ce qui était possible avant. En revanche, il peut recevoir une amende pour diffamation ou outrage. Le deuxième texte concerne les modalités de création d’un organe de presse. Aujourd’hui il faut obligatoirement la présence de trois journalistes professionnels ayant fait des études pour lancer un journal ou une chaîne de TV.

Quelles sont vos attentes par rapport à ce nouveau gouvernement ?

Je pense que le mérite n’est pas assez récompensé, notamment dans les médias d’État. Les salaires devraient être revus à la hausse. Sinon, les journalistes sont exposés à la corruption, ce qui est assez fréquent d’ailleurs. Ça passe par plusieurs choses. On peut te donner de l’argent après coup pour te remercier et « couvrir » tes frais de déplacement, ou carrément te payer avant l’écriture de ton article.

Il semble aussi que parfois, les journalistes qui accompagnent les voyages présidentiels sont directement choisis par le gouvernement. Ils ont le dernier mot. J’ai connu par le passé d’excellents journalistes qui n’ont jamais été en mission présidentielle. Ils étaient dérangeants.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.