Course à l’information et fausse alerte : l’AFP en crise

AFPL’annonce erronée de la mort du grand industriel français Martin Bouygues le 28 février a déclenché une importante crise interne au sein de la rédaction de l’AFP. Plusieurs responsables de l’agence ont démissionné et le PDG de l’AFP est également sous le feu des critiques. Cet incident, bien que n’étant pas une première dans le monde des médias, remet sur le devant de la scène la dépendance des médias aux agences de presse et la course à l’immédiateté de l’information.

Samedi 28 février, l’agence publiait une alerte stipulant «Martin Bouygues est décédé samedi matin dans sa résidence de l’Orne (mairie). » Aussitôt, les réseaux sociaux se sont emballés et de nombreux médias, dont TF1, propriété de Bouygues, ont repris l’information. Une triple erreur semble être à l’origine de cette « faute », comme l’a qualifiée Emmanuel Hoog, président-directeur général de l’agence.

Des irrégularités à l’origine de ce buzz

Il s’agirait en réalité d’un fâcheux malentendu. Les pompiers ont bien enregistré un décès ce samedi-là, mais pas celui de l’industriel. Contacté par l’AFP, le maire de la commune voisine a confirmé un décès mais a expliqué ensuite avoir été piégé. « Il y a bien un monsieur Martin qui est mort ce matin, mais ce n’est pas Martin Bouygues. Le journaliste m’a parlé de cette mort et j’ai confirmé que Monsieur Martin était décédé. Il y a une erreur phénoménale car on ne m’a pas parlé de Martin Bouygues.» , a expliqué l’élu à Francetv info.

Fort de cette source locale, le bureau de Rennes envoie au siège parisien sa dépêche, qui est immédiatement publiée sur les fils, sans autre confirmation. « Il est évident qu’il aurait fallu, à ce moment, attendre la confirmation du groupe Bouygues », estime Michèle Léridon, directrice de l’information de l’Agence France-presse.

Mais à peine une trentaine de minutes après la diffusion de l’annonce, les groupes TF1 et LCI démentaient l’information. « URGENT INFO @LCI @TF1 : La direction de @TF1 dément la mort de Martin Bouygues », ont-ils publié sur Twitter.

Du côté de l’AFP, il faudra attendre 57 minutes pour que l’information soit démentie. Des excuses de l’agence sont également publiées sur Twitter : « Martin Bouygues : toutes les excuses de l’AFP pour cette terrible erreur. » Le PDG lui-même, Emmanuel Hogg, s’est fendu d’un message : « Nous présentons à Martin Bouygues et à sa famille nos plus sincères excuses pour cette faute inacceptable

Une crise interne à l’AFP

Ce malentendu n’aurait pas pu avoir lieu sans « une série de dysfonctionnements qui sont à l’origine de l’erreur », la direction ne compte donc pas laisser passer. Après cette bourde, l’AFP a annoncé l’ouverture d’une enquête interne pour que cette « erreur inacceptable » ne se reproduise pas. « C’est une débâcle, une erreur énorme », a déclaré Michèle Léridon. « Des personnes ont pensé qu’elles étaient habilitées à prendre des décisions, elles ont cru bien faire. Elles auraient dû faire remonter l’information. » a-t-elle ajouté.

« Nous sommes habitués à la pression, nous pesons chaque mot et recoupons toujours nos infos sachant que nous sommes repris partout », a rappelé un journaliste AFP, agence mondialement sollicitée qui publie quelques 5.000 dépêches par jour. L’enquête devra donc chercher à « comprendre comment une telle faute a pu être commise. »

Les journalistes pointent également la responsabilité d’une direction engagée dans une course perdue d’avance avec les réseaux sociaux. Selon une journaliste de l’AFP, la gaffe a surgi alors que l’agence connaît une « fébrilité » particulière, liée à la candidature non officielle d’Emmanuel Hoog à la tête de France Télévisions. Une ambition personnelle qui justifierait son attitude et ses excuses jugées excessives à l’égard de l’industriel, très gros client de l’agence via TF1.

Une remise en cause de la dépendance face aux agences de presse

Outre les dysfonctionnements éventuels de l’entreprise, c’est surtout la réelle dépendance des médias d’information à l’égard de certaines sources d’information, dont les agences de presse comme l’AFP, qu’il faut relever. À l’heure de l’internet et de l’information en continu, les sites des grands médias se retrouvent dans l’obligation d’alimenter leurs colonnes en permanence, au risque de se retrouver parfois à annoncer des morts qui n’ont pas eu lieu…
« La réputation de l’agence est fondée d’abord sur sa fiabilité. Nous mettons, au quotidien, tout en œuvre pour qu’elle ne soit pas entachée de tels dysfonctionnements. » a expliqué Michèle Leridon.

Ce n’est certainement pas la première fois qu’un média annonce un décès par erreur, c’est même une sorte de marronnier. Combien de fois, les médias ont annoncé la mort de Fidel Castro ? Cela arrive fréquemment, pas trop souvent non plus fort heureusement !

Sauf qu’à l’AFP, l’affaire a pris un tournant plus dramatique. L’agence s’est excusée auprès de Martin Bouygues et le PDG Emmanuel Hoog s’est empressé de tweeter qu’il s’agissait d’une « faute inacceptable ». Il a prévenu : « une seconde erreur d’un ordre comparable dans les prochaines semaines serait fatale ». Michèle Léridon confiait à L’Obs : « il est plus important d’être fiable plutôt que rapide. La source qui nous a confirmé la mort de Monsieur Bouygues n’était évidemment pas suffisante. »

Fiabilité et rapidité sont un casse-tête quotidien et des impératifs difficilement conciliables pour tous les organes de presse, tous les sites d’information qui subissent une pression monstre.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.