Quand la mème-ification séduit les journalistes

Aux oubliettes, les nyan-cat et autres philosoraptor. Un nouveau genre de mème s’invite dans la campagne présidentielle américaine et commence à être approché par certains journalistes : le mème politique. Retour sur un phénomène qui fait de l’oeil aux nouvelles pratiques journalistiques.

Réservé à certaines communautés en ligne, le mème (élément repris et décliné en masse sur internet) s’est installé, depuis quelques années, dans la conscience collective pour devenir un élément à part entière de la culture populaire sur la toile. Les utilisateurs se l’approprient aujourd’hui pour aborder tous les sujets possibles et imaginables : actualité sociale, culturelle et politique. Populaire et viral, le mème interpelle ceux qui ont grandi en se nourrissant de la culture 2.0. Une génération qui possède un compte Facebook, passe son temps sur Twitter, visite frénétiquement les Tumblr et suit l’actualité en ligne. Une frange qui attire l’attention des journalistes, notamment dans le cadre de la couverture médiatique des élections américaines.

 

La mème-ification au service l’actualité politique

Certains sites d’information en ligne, comme Buzzfeed, n’hésitent d’ailleurs pas à reprendre ces techniques qui font le buzz sur la toile, participant ainsi à l’instauration d’une véritable mème-ification de l’actualité politique. La stratégie a fonctionné pour la couverture médiatique du mouvement Occupy Wall Street. Pourquoi ne pas l’appliquer à l’édition 2012 de la course à la Maison Blanche ? En effet, en novembre 2011, la couverture du mouvement avait donné lieu à de nombreux détournements de la photographie du “pepper-spray-cop”, devenu depuis un mème. Cela a permis une rupture, une irrégularité dans la couverture médiatique classique de ce “trending topic” qu’était devenu le mouvement Occupy Wall Street. La mème-ification de cette actualité et sa reprise par les journalistes lui a valu un regain d’attention.

Les élections américaines suivent le même chemin notamment avec la mise en place, d’un Tumblr par une poignée de journalistes.Tumbling the election crée l’événement en couvrant la campagne à grands coups de gifs. Une couverture décalée et dynamique, qui cherche à satisfaire cette nouvelle génération d’internautes. Buzzfeed.com, paradis du “lol”, a bien compris l’intérêt de mêler mèmes et actualité sérieuse en nommant Ben Smith, journaliste politique aguerri, au poste de rédacteur en chef. La nouvelle, relayée par le New York Times, a surpris journalistes et politiques. Depuis son arrivée à la tête de Buzzfeed, Ben Smith a engagé une douzaine de journalistes chargés d’étoffer le contenu rédactionnel du site tout en conservant l’aspect viral des articles qui en ont fait le succès. En surfant sur la mème-ification de la couverture médiatique des élections américaines, Buzzfeed s’assure une forte  popularité. Depuis début octobre, le site accroît ses visites en exploitant l’attaque de Mitt Romney contre Big Bird.

 

Le cas Big Bird

En attaquant la mascotte de “1, rue Sésame” lors de son premier débat télévisé face à Barack Obama, Mitt Romeny a réussi à embraser la toile et à hisser Big Bird à la première place du classement des “trending topics”.

 

L’information, très vite devenue virale, a fait l’objet d’innombrables mèmes, repris par les journaux en ligne. Ainsi, le site d’information d’ABC News a élaboré un diaporama des mèmes les plus marquants. En France, tous les sites d’informations ont mentionné le phénomène. Ludique et dynamique, les retombées de la mème-ification de cette information n’ont pas échappé à l’équipe de communication de Barack Obama qui a décidé d’utiliser dans son dernier clip de campagne, l’emblème de la chaîne et de l’émission “1, rue Sésame”.

Quelle valeur journalistique pour le mème ?

De plus en plus utilisé, le mème a-t-il pour autant une réelle valeur journalistique ? Apporte-t-il une plus value, un nouveau regard sur l’information ? Pour Farhad Manjoo, chroniqueur spécialisé en nouvelles technologies chez Slate, la question ne se pose plus depuis longtemps. Dans un article pour Slate consacré à l’avenir de la caricature, il déclare : « Aujourd’hui, la plupart des images politiques les plus puissantes sont récoltées et postées par des anonymes sur Reddit [un des forums les plus actifs et irrévérencieux du Web]. Par la suite, d’autres internautes les modifient sur Photoshop et créent des versions encore plus inspirées ». Farhad Manjoo pousse sa réflexion encore plus loin et propose la reconnaissance des mèmes sous l’appellation de “journalisme graphique ” : « Il est vrai qu’il serait compliqué de remettre un prix Pulitzer pour un “crowdsourced mème”. Cependant, le comité qui remet les prix pourrait élargir ses horizons, devenir plus flexible et reconnaître ce “journalisme graphique” ».

Relayés et utilisés par les médias, impossible aujourd’hui de faire l’impasse sur les mèmes politiques pour analyser la campagne présidentielle américaine. Ancrés dans la culture populaire, ils semblent permettent aux journalistes d’attirer l’attention d’une nouvelle génération de consommateurs d’information qu’ils avaient du mal à atteindre.

Texte rédigé par Marine Buisson

 

 

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.