Rencontre avec Cathy Wilcox, dessinatrice au Sydney Morning Herald : « le dessin de presse, c’est un monde à part »

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Reconnue par la profession, Cathy Wilcox dessine depuis plus de 20 ans pour l’un des plus grands quotidiens d’Australie. Entre deux coups de crayon, elle nous livre sa vision du métier et de la place du dessin de presse dans la société australienne, mais aussi de Charlie Hebdo et de la France, avec qui elle garde un lien très fort après y avoir passé plus de trois ans de sa vie.

En tant que dessinatrice de presse, comment avez-vous réagi après les attentats contre Charlie Hebdo en France ?

J’ai été évidemment très choquée. La France est mon pays de cœur, où j’ai passé trois belles années, et avec lequel je garde une connexion toujours très forte. J’ai été d’autant plus touchée que j’avais eu la chance de rencontrer Tignous lors d’une conférence à Paris organisée par Plantu. Ça m’a profondément attristé. Mais très vite, j’ai du « intellectualiser » cet événement tragique et mettre de côté l’affect, puisque j’ai été tout de suite sollicité par les médias en tant que dessinatrice de presse et avec mon expérience en France. Après le 7 janvier, ma famille a commencé à s’inquiéter pour moi et sentir que mon métier pouvait me mettre en danger, même si ça ne m’a jamais traversé l’esprit.

Avez-vous déjà été menacée pour un de vos dessins ?

Une fois, j’ai reçu un coup de téléphonique anonyme très agressif. Ce n’était pas une menace de mort, mais un message très obscène avec beaucoup de haine dedans, mais ça ne m’a pas atteint pour autant. Mis à part ça, j’ai eu de vives critiques par rapport à certains sujets, notamment tout ce qui entoure le Moyen-Orient. On ne réalise pas à quel point l’impact de nos dessins peut être fort.  Dessiner c’est un monde assez à part. On ne peut jamais anticiper les réactions des gens, aussi stupides et terribles soient-elles.

Selon vous, un dessin doit-il être obligatoirement être satirique pour être crédible ?

Oui et non. Selon moi, cela dépend de la tournure de l’événement. Tourner en dérision une catastrophe naturelle juste après qu’elle se soit produite n’est pas la meilleure solution. Il faut laisser la place à l’émotion directe avec un dessin qui l’exprime. Mais ensuite, la critique et la satire viennent lorsque les premières réactions se manifestent, avec les commentaires des politiques ou bien avec la démarche des secours sur place.  Pour revenir à Charlie Hebdo, et à tous les hommages qui ont été faits en dessin par la suite, celui (ci-dessous) de mon collègue David Pope, du Canberra Times, m’a profondément marqué et c’est pour moi l’exemple d’un bon dessin de presse. Dans la plus grande simplicité, son dessin est criant de vérité et a réussi a touché le monde entier.

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Sur quels thèmes vos dessins ont-ils généralement le plus d’écho ?

Sans grande surprise, le sujet des réfugiés provoque énormément de réactions. Je mets en avant l’attitude du gouvernement australien vis-à-vis de la gestion des demandeurs d’asile. Il y a beaucoup de matière au moment des élections, puisque la question des réfugiés devient une marchandise à vendre pour les politiciens. Je peux voir la réaction des gens sur mes dessins beaucoup plus rapidement grâce à Twitter. À l’époque, je recevais trois lettres par mois, aujourd’hui c’est presque 500 tweets par jour.

Avez-vous déjà regretté un dessin ?

Je me rappelle avoir pris certaines libertés sur la schizophrénie, et fait un dessin qui avait blessé certaines personnes. Une lettre m’avait été envoyée pour m’expliquer que je n’avais pas saisi le sujet. Ça m’a fait beaucoup réfléchir, et je m’étais même demandé si je ne devais pas arrêter de dessiner. Mon but n’était évidemment pas de blesser les gens. J’ai beaucoup appris depuis. Je ne cherche jamais à provoquer, j’essaye de toujours présenter un cas. Parce que la difficulté du dessin de presse, c’est qu’il ne laisse pas la place à la nuance. Tout est exprimé en une seule fois. Par exemple, sur le sujet sensible des religions, je fais toujours en sorte de remettre en cause les institutions et non pas d’attaquer les croyances en elles-mêmes.

En France la culture du dessin de presse est très importante, est-ce qu’on peut en dire autant en Australie ?

D’un côté, on a une grande affection pour le dessin de presse, de part de notre culture. Beaucoup de conférences de dessinateurs de presse sont organisées. Néanmoins, les gens qui viennent y assister ont généralement plus de 60 ans. Il y a une certaine nostalgie du dessin de presse d’autrefois, et maintenant on observe un désintérêt chez les jeunes. Et il est vrai que pour les jeunes dessinateurs, il est maintenant extrêmement difficile de se faire une place dans le métier. Il y a 20 ans je suis entrée au « bon moment ». Aujourd’hui la compétition est plus rude, il faut frapper deux fois plus aux portes des rédactions, redoubler d’efforts, se faire une place. Au Sydney Morning Herald, ils ne recherchent pas de nouveaux profils, ou du moins ils embaucheraient quelqu’un qui a déjà un nom, une place dans le milieu. J’ai la chance d’être payé comme un très bon journaliste, maintenant un jeune devra certainement cumuler un travail à côté pour pouvoir vivre du dessin de presse. Du moins à ses débuts…

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.