Quand les YouTubeurs enquêtent

Décryptage, analyse, investigation : voilà les fondements de certaines chaînes YouTube qui apparaissent depuis quelque temps sur Internet. Comment ces YouTubeurs font-ils de l’investigation ? Notre enquête.

Ils s’appellent Sylvain ou Lilian. Ils ont entre 25 000 et 730 000 abonnés sur leurs chaînes YouTube respectives. Leur terrain de jeu ? L’enquête et l’investigation. Tels des enquêteurs aguerris, ces YouTubeurs veulent mettre en lumière des faits qui leur semblent discutables, voire dangereux. À la manière d’une émission de télévision comme “Envoyé Spécial” ou “Cash Investigation”, ces investigateurs du net infiltrent des milieux compliqués et de dénoncer des injustices.

Harcèlement, escrocs et dérives d’Internet

Le plus connu d’entre eux possède la chaîne intitulée “Le Roi des Rats”. Lilian, de son vrai prénom, a une sensibilité pour l’infiltration et la dénonciation de scandales. Sa vidéo la plus populaire ? “Le cas Swan The Voice & Néo The One” dans laquelle il pointe du doigt le business de cette chaîne YouTube créée par une maman qui pousserait quotidiennement ses enfants à créer du contenu, et donc faire des vues pour gagner de l’argent. Dans ses vidéos, Lilian dénonce les dérives des nouvelles pratiques numériques : “Les dangers d’internet pour les jeunes”, “Les escrocs sur YouTube”, ou encore les dérives d’Instagram et de Snapchat, voilà les thèmes dont il parle. Plus qu’une simple énonciation de faits et de questions soulevées, ce YouTubeur se professionnalise encore plus depuis quelques mois afin de proposer du contenu davantage journalistique. Dernièrement, “Le Roi des Rats” a par exemple infiltré des sites de rencontres pour adolescents afin d’en démontrer la dangerosité.

Capture d’écran de la page YouTube du “Roi des Rats”

Sylvain, lui, a 26 ans. Après un DUT informatique à Lyon, il s’installe à Paris et crée “Bescherelle ta mère”, une plateforme qui recense les plus grosses fautes d’orthographe que les inconnus ou les médias peuvent faire quotidiennement. Le succès est immédiatement au rendez-vous. La page Facebook cumule désormais plus de 700.000 “likes”. Aujourd’hui, Sylvain travaille en freelance comme créateur de contenu, community manager ou pour des agences de publicité. Il crée sa chaîne YouTube, nommée “Sylvqin” le 16 décembre 2016, et à cette époque-là, le contenu d’investigation n’est pas du tout à l’ordre du jour. Détournement d’images, montages vidéos, ou encore gameplay de jeux en réalité virtuelle, voilà le type de contenu que l’on trouve sur sa chaîne. Les choses changent au mois de mars 2018 lorsqu’il publie la vidéo “HACKING : Comment on a pisté et retrouvé un harceleur en ligne”, qui retrace la traque envers un utilisateur qui le harcelait sur le net. “J’ai lancé ma chaîne Youtube parce que j’avais envie de faire des vidéos” nous explique-t-il. “Ayant travaillé pour Golden Moustache, je suis très porté sur l’humour. Et puis un jour, j’avais juste envie de raconter cette histoire sur ce mec qui nous a harcelé sur “Bescherelle ta mère” et qu’on a retrouvé. Et les gens ont vraiment bien aimé”. Démarre alors une nouvelle aventure pour Sylvain sur YouTube.

« Une vidéo peut mettre une semaine comme plusieurs mois à faire »

J’aime beaucoup fouiner, j’aime stalker, passer des heures à chercher des éléments. J’aime bien l’enquête” nous confie Sylvain. Il enchaîne : “Je connais plein de combines et de trucs sales sur Internet, et je me suis dit que c’était

Sylvain dans sa dernière vidéo nommée “Buzz Investigation”

peut-être intéressant de le montrer aux gens et de leur expliquer ce qu’il se passe, comment des gens peuvent faire de l’argent sur leur dos, comment ne pas alimenter ces gens malhonnêtes qui se font de l’argent avec le contenu des autres”. Voilà le point de départ du changement de ligne éditoriale de sa chaîne YouTube. Après la publication de cette première vidéo d’un genre nouveau pour sa chaîne, Sylvain entend parler de plusieurs arnaques, de différentes combines qui ont pour but de piéger les internautes : les sujets, ce sont son entourage et ses abonnés qui les lui glissent à l’oreille. Commence alors un travail de recherche, de documentation, “ça peut prendre une semaine comme ça peut prendre plusieurs mois” explique Sylvain. Puis se met en place le processus d’investigation, jusqu’à la réalisation de la vidéo : “On trouve le sujet, on contacte, on attend les réponses, on appelle, on fait les infos, on tourne, on monte, et on anime” détaille-t-il. Dans sa dernière vidéo dans laquelle il dénonce le business juteux du plagiat d’une entreprise sur Instagram et Twitter, le YouTubeur s’est par exemple fait passer pour une personne qui lançait une application mobile de prêt entre particuliers. Le grimage, un passage quasi-obligatoire pour ces internautes-investigateurs.

Le Roi des Rats, lui, va encore plus loin et n’hésite pas à se faire passer pour une adolescente pour démasquer des prédateurs pédophiles ou encore à s’immiscer dans les abysses de YouTube pour pointer du doigt la pédopornographie qui y règne. La plupart du temps, Lilian montre l’envers du décor de ces applications et autres sites internet qui mènent à des dérives, surtout pour les plus jeunes. Le point fort de ses vidéos ? Le récit, toujours très bien écrit, et la narration de ses contenus qui se fait seulement en voix-off. À l’image, l’internaute voit défiler captures d’écran qui appuient les propos du Roi des Rats ainsi que des illustrations toujours très parlantes d’une artiste française.

Comme des journalistes… ou presque !

Le Roi des Rats veut éveiller les consciences et plusieurs de ses vidéos ont eu un impact direct sur l’environnement de YouTube. Le 30 mars dernier, il publie une vidéo sur les malversations d’un internaute qui profitait de la crédulité de ses jeunes spectateurs pour leur soutirer de l’argent. Deux semaines plus tard, la chaîne YouTube de cet internaute était fermée. Au mois de juin, Lilian lance une grande opération avec le hashtag “YouTubeWakeUp”, qui vise à faire réagir la plateforme qui laisse des contenus pédophiles sur son site internet. Depuis, un bon nombre de ces chaînes ont été fermées grâce à l’action de Lilian et de ses abonnés.

Se revendiquant plus comme un quidam à la conscience bien éveillée qu’à un journaliste, Sylvain nous explique que le fait de ne pas avoir de carte de presse ou de charte déontologique est un avantage pour lui, afin d’avancer sur des enquêtes au terrain glissant. Il a toutefois bien conscience que son travail ressemble à celui d’un journaliste : “J’ai des similitudes avec ce que les journalistes peuvent faire. Je ne réinvente rien et je ne parle que de ce que je connais. J’ai envie que mes vidéos ressemblent à un « Cash Investigation » qui, pour moi, est la référence du journalisme en France, et c’est ça qui fait avancer l’intelligence générale des gens” nous dit-il. D’ailleurs, fait marquant, la prochaine enquête que Sylvain va sortir, à propos d’un groupe de presse coté en bourse, fait également l’objet d’une investigation de la part d’un journal national. La preuve, s’il en fallait une, que les contenus des YouTubeurs-investigateurs se rapprochent des enquêtes journalistiques.

Quoiqu’il en soit, le travail de ces YouTubeurs au regard aguerri colle parfaitement à la définition du journalisme citoyen, qui considère que des quidams peuvent produire des contenus journalistiques à l’aide de leurs propres moyens, sans formation de journaliste. Sylvain est plutôt de cet avis : “J’aime bien l’idée du journalisme citoyen dans le sens où, en soi, si ce que tu dis est vrai et vérifiable, c’est une très bonne chose de le dire” dit-il, avant de poursuivre : “on essaye de contribuer à rendre les gens moins bêtes et de leur faire prendre conscience qu’il faut faire plus attention sur certains sujets”. La bouteille est donc lancée à l’immense mer que représente YouTube. Au tour maintenant des internautes de la saisir afin qu’eux aussi, deviennent plus prudents à l’avenir

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.