Sean Hannity ou les limites du journalisme partisan aux États-Unis

Aux États-Unis, on le sait, en terme de politique, il existe deux chaînes phares à la télévision. CNN d’un côté, média réputé « démocrate », et de l’autre, Fox News, média connoté « républicain ». Mais le côté partisan de ces médias posent parfois de gros soucis au niveau éthique, et la semaine dernière, une immense polémique a émergé à ce propos.

Sean Hannity est l’une des têtes les plus reconnaissables de la télévision américaine. Chaque soir, son émission « Hannity » rassemble environ 3 millions de téléspectateurs sur Fox News. Et en avril dernier, il s’est retrouvé au coeur d’une tempête médiatique remettant en cause son statut de journaliste. En effet, les avocats de Michael Cohen, lui même avocat du président Donald Trump, ont avoué que Sean Hannity était un client de Cohen. Le problème, c’est que le présentateur ne l’avait jamais révélé à son public, et que dans le même temps, il défendait corps et âme Cohen contre les investigations fédérales qui le touchaient.

Dans la charte déontologique de la « Society of Professional Journalists », il est clairement indiqué qu’il faut « éviter les conflits d’intérêts. Les rendre publics si ils sont inévitables ». Alors Sean Hannity, et plus largement tous les éditorialistes des chaînes partisanes, sont-ils des journalistes ? L’intéressé semble tout aussi confus que nous. Par moment, il déclare : 

« Je suis un journaliste. Mais un journaliste partisan ou un journaliste d’opinion. »

Mais parfois, il affirme tout le contraire…

https://twitter.com/seanhannity/status/986737367947075584?ref_src=twsrc%5Etfw&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.washingtonpost.com%2Fblogs%2Ferik-wemple%2Fwp%2F2018%2F04%2F19%2Fsean-hannity-cannot-tweet-his-way-out-of-journalistic-corruption%2F&tfw_creator=ErikWemple&tfw_site=WashingtonPost

Cette ambiguïté se retrouve aussi dans les justifications de l’animateur. Il a d’abord déclaré : 

Michael Cohen ne m’a jamais représenté. Je ne l’ai jamais mandaté, je n’ai reçu aucune facture, je n’ai payé aucun frais légal. J’ai occasionnellement eu quelques petites discussions avec lui a propos de questions légales sur lesquelles je voulais son avis.

Alors que dans son émission de radio il déclare avoir « peut-être donné $10 » pour faire valoir le secret professionnel…

Voici une vidéo qui illustre bien le conflit d’intérêt :

Devant un tel cas de collusion, l’ensemble des journalistes politiques et des experts de l’éthique ont réagi. 

Alors en quoi ce cas dérange ? Et comment peut-on s’assurer que la liaison entre Hannity et Cohen ait un réel impact sur le travail de la figure emblématique de Fox News ?
Comme l’explique Stephen Gillers, professeur d’éthique juridique à NYU, lorsqu’un avocat effectue un travail légal gratuitement, comme c’est le cas ici, le client se retrouve souvent dans une posture où il se sent redevable. Dès lors, la couverture de Sean Hannity de l’affaire Cohen n’est plus objective et par conséquent plus journalistique. Comment rester neutre dans une affaire où un homme qui nous a aidé bénévolement se retrouve impliquer ? C’est aujourd’hui tout le questionnement qui se pose autour du journalisme partisan aux États-Unis. 

Qui plus est, Hannity exerce sur Fox News. Tout est là : « News ». Mais comment faire de l’information quand on est directement impliqué dans une affaire et qu’on ne le dit pas à ses téléspectateurs. Susan King, journaliste de longue date et aujourd’hui doyenne de l’institut de journalisme de la faculté de North Carolina déclarait au Washington Post :

« Il se doit de faire savoir à son audience quand il parle d’un sujet qui l’impacte directement. ».

Cependant, Fox News, bien conscient qu’Hannity est en grande partie responsable de son succès, a déclaré dans un communiqué « apporter tout son soutien » à sa star. Le problème que ce soutien pose, est le fait que la notion de « News » de la chaîne passe désormais au second plan. Le message qui ressort de cette affaire est que le principal est ici de suivre l’agenda de la direction, et non de suivre les codes éthiques et déontologiques du journalisme. 

Mais Fox News se retrouve dans une situation délicate. Renvoyer Hannity, outre le fait de perdre de l’audience, serait le signe d’une perte d’identité. En effet, ce média se revendique fièrement comme contre-pouvoir, comme politiquement incorrect et se veut faire le métier à sa façon. Se séparer de sa star donnerait donc l’image aux téléspectateurs d’un média qui cède aux codes professionnels du journalisme et au politiquement correct. Mais de l’autre côté, garder Hannity serait un coup dur contre la volonté d’être un média mainstream, et surtout, l’ensemble du discours de la chaîne passerait pour une propagande…

Aux États-Unis, c’est donc l’ensemble des médias partisans qui doit être remis en question, car comment peuvent ils affirmer faire de l’information, quand ils peuvent mentir aux téléspectateurs ?

Guillaume Kagni

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.