Reportage : « Le Beaujolais a tenu grâce à des bouts de ficelle » ou comment la vigne renaît de ses cendres

Cet article a été publié dans le cadre d’une journée de simulation de rédaction web. Il a été validé, relu et corrigé par les élèves, en totale autonomie.

Au début des années 2000, la vente et le prix du vin ont chuté drastiquement, conduisant le secteur dans une crise sans précédent. Dans le Beaujolais, où cette crise a été particulièrement violente, les paysages témoignent aujourd’hui des changements opérés. En 20 ans, les vignerons ont arrachés 8 000 hectares de vignes.

C’est un matin de novembre comme tant d’autres qui se lève sur Dareizé, un petit village du Beaujolais dans le Rhône. Dans ces hauteurs, une grande colline se détache, le soleil vient caresser ses courbes. L’herbe des prés est encore humidifiée par la rosée du matin. Le chant du coq nous évoque les fermes non loin. Sur le sentier qui coupe la colline en deux, Raymond, 57 ans, nous parle du paysage d’antan. Face à l’immensité du champ d’orge devant nous, on a du mal à imaginer que neuf ans plus tôt c’était une vigne de 12 hectares qui s’y étendait.

La vie sur la colline était rythmée par les vignerons, il fallait plier les baguettes, traiter la vigne et puis au mois de septembre, parfois à la fin août, c’étaient des dizaines et des dizaines de vendangeurs qui venaient faire la récolte du raisin. On croirait encore entendre les allers-retours de tracteurs entre la vigne et la cave coopérative, les bennes qui s’entrechoquent, les chants des vendangeurs, les enfants qui courent en dévalant les coteaux. Puis, la crise du vin est arrivée.

À la fin des années 2000, les ventes du Beaujolais ont chuté avec le prix de la bouteille. Il est devenu de plus en plus dur de vivre décemment. La pression financière a pesé sur beaucoup. Alors, certains ont décidé de faire de la vigne une ressource secondaire. D’autres se sont donné la mort. Beaucoup d’hectares ont été arrachés. C’est le cas de la vigne de Raymond. Il l’avait planté à ses 20 ans, au début de son exploitation, en 2013, avec l’aide de son frère et ses enfants, il a réuni chaque cep en pile et les a brûlé. La vigne est partie en fumée.

Au revoir les coteaux

Les coteaux ont particulièrement souffert de la crise. Ces vignes, répandues sur le versant des collines, souvent faites de rangs serrés, rendent le passage des machines difficile et demandent donc un entretien et un ramassage du raisin fait uniquement à la main.

C’est ce que nous raconte Olivier Debourg, voisin de Raymond. Ancien viticulteur, il a fini par entièrement consacrer son activité à l’élevage. Il possédait deux hectares de vignes, hérités de ses parents. Au début de son exploitation, il parvient à allier ses activités d’éleveur de bétail et de viticulteur en partie grâce à l’entraide familiale. Avec le vieillissement de ses parents et les difficultés touchant de plus en plus la vigne, il a fini par abandonner son exploitation viticole. 

Des reins solides et de la passion

À la Cave Coopérative des Vignerons des Pierres d’orée à Saint-Vérand, Sylvain Flaches, le directeur, nous accueille au milieu des cartons de bouteilles et deux camions de livraison. La coopérative semble tourner à plein régime. Créée en 2011, de l’union entre les caves coopératives de Saint-Laurent-d’Oingt, Le-Bois-d’Oingt et Saint-Vérand, elle couvre une partie importante du Sud du Beaujolais.

Une union née en grande partie de la crise. Le directeur fronce les sourcils en énumérant le nombre d’hectares perdus pour la coopérative, environ 300, l’équivalent de 420 terrains de football, soit une superficie plus grande que celle de Monaco. Si le Beaujolais a tenu, c’est « grâce à des bouts de ficelle », des machines vieillissantes tout comme la population, « des reins solides et de la passion ». Sur les 130 vignerons affiliés à la coopérative, ils sont une soixantaine à exercer aujourd’hui une seconde activité professionnelle. Ils sont ainsi plusieurs passionnés (ou nostalgiques) à continuer de fournir la coopérative.

Le passage aux prochaines générations s’annonce difficile et comme le dit Sylvain Flaches : « Il restera encore des vignes, mais on manquera peut-être de bras ».

Beaucoup d’enfants d’exploitants semble s’être détournés du monde de l’agriculture, brisant la chaîne de la succession des terres et du métier. Pourtant le métier n’est pas à l’abandon, à la coopérative de Saint-Vérand, ils sont plusieurs à avoir fait une reconversion professionnelle afin de devenir viticulteur. La coopérative les accompagne. Celle-ci aide les vignerons dans leurs difficultés, en gérant l’administration de plus en plus pesante et en faisant le lien entre les nouvelles normes européennes concernant les produits phytosanitaires et les viticulteurs. Pour le dirigeant de la coopérative, « l’interdiction de produits autrefois très utilisés représente un vrai problème, car peu d’alternatives sont proposées par les politiques agricoles, c’est aux viticulteurs de trouver des solutions ».

Après la pluie, la vigne refleurit

Ces dernières années, le Beaujolais est revalorisé. Depuis 2018, le territoire bénéficie du Label Geoparc Mondial Unesco, un label permettant de mettre en valeur les sols et la richesse des terroirs. Pour la cave coopérative, cela signifie la création de quatre vins différents, issus de quatre terroirs soigneusement étudiés par des scientifiques, permettant ainsi de mettre en avant la singularité de son territoire.

De plus, la raréfaction du Beaujolais, permet enfin aux producteurs d’avoir un levier de pouvoir. La demande est trop haute par rapport à l’offre, les revendeurs s’arrachent ce vin, ce qui permet la fixation d’un prix suffisant pour une meilleure rémunération des vignerons. Sylvain Flaches nous confie avoir refusé cette année de vendre à une grande distribution, Grand Frais, car elle voulait baisser les prix de manière trop abrupte.

Là où ces derniers ont une chance par rapport aux autres secteurs de l’agriculture, c’est que « le Beaujolais ne peut être produit à l’étranger, il craint donc moins la concurrence que les autres produits agricoles ». Comme le répète Sylvain, le terroir est unique et impossible à reproduire. De plus, le Beaujolais est riche d’une réputation mondiale, la cave coopérative exporte des vins en Allemagne, Italie, Japon, Etats-Unis, Canada, Chine… Une tendance que les chiffres confirment, en 2019, on estime que 46% de la production de Beaujolais a été exportée.

De nouvelles opportunités s’ouvrent au Beaujolais, le développement de l’éco-tourisme et des viticultures biologique attirent de nouveaux clients.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.