Aux États-Unis, des manifestant·es marchent pour le droit à l'IVG

Avortement aux États-Unis : un pas en avant, deux pas en arrière

Cet article a été publié dans le cadre d’une journée de simulation de rédaction web. Il a été validé, relu et corrigé par les élèves, en totale autonomie.

Presqu’un an après l’annulation de Roe v. Wade, de nouvelles restrictions imposées par des juges du Texas et de Floride en avril 2023 témoignent d’un étau qui se resserre sur les femmes. Les États-refuges où l’IVG reste légale deviennent une terre d’accueil pour les Américaines.

En juin 2022, l’arrêt Roe v. Wade qui protégeait le droit constitutionnel à l’avortement aux États-Unis a cédé sous la pression des Républicains et d’une Cour suprême ultraconservatrice. Depuis, les limitations au recours à l’IVG s’intensifient aux États-Unis, asphyxiant les femmes souhaitant avorter. Elles sont prêtes à traverser le pays.

Une bataille judiciaire sans fin

C’est une lueur d’espoir supplémentaire qu’offrait le 4 janvier la Food and Drug Administration. L’agence fédérale de l’alimentaire et des médicaments autorisait les pharmacies à vendre les pilules abortives à la mifépristone sur ordonnance dans les États où l’IVG reste légale. Alors que la vente était autorisée uniquement en clinique, la décision est apparue comme un élargissement majeur du droit à l’avortement parmi un flot de lois rétrogrades. 

Pourtant, la mesure progressiste n’a pas empêché le Texas et la Floride, deux États profondément conservateurs, de bloquer la décision. Un magistrat de la Cour fédérale texane a prohibé la vente du médicament à la mifépristone le 7 avril, une mesure effective sur l’ensemble du pays. Le gouvernement Biden s’est tout de même empressé de faire appel devant la Cour suprême américaine. L’interdiction suspendue, la décision des juges sera connue mercredi 19 avril.

En un claquement de doigts, ils ont le pouvoir de revenir sur des pratiques et des traditions très enracinées. C’est comme un interrupteur qu’on impose à l’entièreté du pays.

Alexis Buisson, journaliste-correspondant à New York pour La Croix

Alexis Buisson explique : « Ici, la Cour suprême évalue le processus d’autorisation de mise sur le marché il y a 20 ans. Dès lors que l’anti-progestatif avait été validé par la FDA, la crainte c’est que d’autres médicaments déjà installés soient aussi remis en question. En tous cas, c’est ce que laisse faire croire les Républicains ». Dans le même temps, la Floride a légiféré l’interdiction de recours à l’IVG après six semaines de grossesse. 

Tweet de Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis

Des fermetures de cliniques qui se généralisent

Si les élections de mi-mandat de novembre 2022 ont permis l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution des États de Californie, du Michigan et du Vermont, il est enterré dans 13 États. Huit autres imposent de drastiques restrictions. La plupart situés dans la Bible Belt, région du sud au midwest du pays où l’Église évangélique – très conservatrice – exerce une forte influence.

Souvent les États les plus conservateurs dont le Kentucky et Tennessee ont mis en place des lois-gâchettes. Prêtes depuis plusieurs années, elles sont entrées en vigueur au lendemain de l’annulation de Roe v. Wade, retirant sans prévenir le droit à l’IVG pour la population. 43 cliniques du pays avaient mis la clé sous la porte un mois après.

De nombreux thérapeutes, même dans les États où l’avortement est encore légal, ont vu collectivement la décision de la Cour suprême être abordée lors de séances. Les patientes ont exprimé des craintes face à l’incertitude de savoir qu’il s’agissait de la première étape vers une illégalité totale à avorter.

Melissa Cosma, thérapeute au Département de protection de l’enfance et de la famille en Californie

D’après un rapport de Society of Family Planning publié début avril, au Texas, moins de 10 avortements légaux ont été pratiqués en décembre 2022 contre 2 600 en avril 2022. En revanche, les cliniques de Californie connaissent une demande croissante avec plus de 14 500 IVG pratiqués en décembre 2022.

Les sanctuary states, une définition étendue

À l’image des sanctuary states, ces États-refuges qui accueillent les immigrés irréguliers et les protègent des menaces d’expulsion, plusieurs États ont aussi adopté ce modèle et ce nom pour permettre aux Américaines d’avorter lorsque le recours à l’IVG est prohibé dans leur région. « Cela signifie que si une personne vient d’un autre État, elle aura accès à l’avortement et ne sera pas signalée à son État originaire » explique Melissa Cosma.

L’Illinois, pro-choice, entouré d’États pro-life, a vu le nombre de patientes venant d’ailleurs augmenter de manière significative, passant de seulement 6 % à 30 % aujourd’hui. Pourtant même dans les États progressistes comme en Californie, le silence est de mise :

Aujourd’hui, il y a peu de programmes qui offrent des ressources aux femmes des États bannissant l’avortement. C’est surtout du bouche-à-oreille plutôt qu’une organisation qui promeut son activité. Les cliniques ne veulent pas prendre le risque que leurs patientes soient dénoncées.

Melissa Cosma

Témoins d’une atrophie du droit à l’avortement chez leurs voisins, les sanctuary states légifèrent pour protéger les Américaines et toute personne tierce les accompagnant. Ils se dotent aussi de moyens supplémentaires et augmentent leurs stocks de médicaments, parfois même avec le soutien d’entreprises européennes comme Aidaccess.

Dans le Golden State, le gouverneur Newsom a promulgué la loi AB 1666 qui protège les Californiens de toute responsabilité pour avoir fourni, aidé ou reçu des soins liés à l’avortement dans l’État. Il s’agira d’une bataille perpétuelle entre les États démocrates et républicains.

Melissa Cosma

Des fonds de financement sont aussi mobilisés pour couvrir le coût du voyage. À New York, grâce à une loi fédérale, les professionnels de santé ne peuvent être traduits en justice s’ils ont permis une IVG aux femmes venant d’autres États.

D’un côté, certains États serrent la vis et d’autres lâchent du lest. Sur la question de l’avortement, nous avons deux Amériques.

Alexis Buisson, correspondant à New York pour La Croix

« C’est un sujet qui dépasse les clivages. L’accès à l’avortement n’appartient pas uniquement aux démocrates. Beaucoup de votants républicains ne croient pas en l’intervention du gouvernement dans les décisions individuelles » nuance Alexis Buisson. Parallèlement, certains élus conservateurs comptent sur le mouvement pro-vie pour conserver leur place à la Chambre des Représentants. Entre protection et restrictions, le bras de fer est interminable.

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Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.