Marche féministe dans un pays d'Amérique latine

Au Mexique, les violences sexistes et sexuelles mises au bûcher par les sorcières

Cet article a été publié dans le cadre d’une journée de simulation de rédaction web. Il a été validé, relu et corrigé par les élèves, en totale autonomie.

Le Mexique est considéré comme un des pays d’Amérique latine où les violences faites aux femmes sont les plus fortes. Le cas du féminicide de Valeria Ramiro Estévez, retrouvée sans vie le 21 mars 2023, est une des dernières illustrations de ce fléau. Des femmes prennent donc le relai du travail qui incombe normalement à l’État, comme les Brujas del mar. 

Selon des informations du site d’information local EV212, Valeria Ramiro Estévez a été retrouvée sans vie dans la région de Veracruz au Mexique. Son corps, laissé seul sur un terrain vague, présentait des signes de violence et d’agression sexuelle, rapportent les autorités. Elle avait 22 ans.

Selon les chiffres avancés par le gouvernement, ce sont en moyenne 11 femmes qui sont tuées chaque jour au Mexique par des hommes, pour le simple fait d’être des femmes. Certaines expertes, elles, ne se fient pas aux chiffres communiqués par l’exécutif et avancent une moyenne de 20 féminicides quotidiens. 

Les Mexicaines, premières victimes de violences

Le Mexique est classé comme un des pays d’Amérique latine les plus dangereux pour les femmes selon plusieurs ONG. Une enquête sur les dynamiques des relations au sein des ménages a été menée en 2021 par l’Institut National de Statistiques et Géographique (INEGI), dans le but d’informer sur les situations de violences faites aux femmes. Les estimations de cette enquête ont révélé que, sur un total de 50,5 millions de femmes âgées de 15 ans et plus, plus de 70 % ont connu, au moins une fois, une situation de violence au cours de leur vie. En revanche, aucune mention du terme de féminicide n’est faite. Des données en hausse depuis 2016, et ce, notamment à cause de la crise du Covid-19. Ce phénomène d’intensification des violences est qualifié de « pandémie de l’ombre » par l’organisation ONU femmes. 

En 2021, selon les chiffres rapportés par Amnesty International, les autorités ont recensé 3427 meurtres de femmes dans le pays au cours de l’année. 887 de ces affaires avaient été qualifiées de féminicides. En France, pour la même année, 122 femmes sont mortes sous les coups d’un homme. Le Mexique comptabilise une population deux fois supérieure à la population française. L’ONG publie un rapport cette même année, dévoilant les failles dans les enquêtes sur les féminicides. Ce rapport pointe les manquements de la justice et l’absence de volonté politique du gouvernement pour condamner fermement les violences faites aux femmes. Face à cette impunité et ces violences, des collectifs de femmes s’organisent pour faire bouger les choses. 

Les sorcières de Veracruz à la chasse au patriarcat

Dans la région de Veracruz, où a eu lieu le féminicide de Karina Castillas Gutiérrez, des femmes ont décidé d’agir. Elles sont psychologues, avocates, gynécologues, coordinatrices de manifestations… Elles forment à elles toutes les Brujas del mar, les sorcières de la mer. Elles investissent l’espace public en étant très actives sur les réseaux sociaux, pour dénoncer l’inaction gouvernementale, mais aussi opérer un véritable travail de proximité et d’éducation. Elles y postent régulièrement les photos des femmes victimes de féminicides ainsi que les avis de recherche de femmes portées disparues. La justice débute sur les réseaux sociaux, mais se poursuit aussi grâce à elles, dans les tribunaux. 

Veracruz est l’une des régions du Mexique où la violence contre les femmes est la plus exacerbée. La porte-parole et cofondatrice de l’association, Arussi Unda, a été nommée comme une des 100 personnalités les plus influentes par le magazine Times pour ses actions militantes. Elle analyse l’augmentation des violences envers les femmes dans sa région : « Le micro est le macro, les problèmes que nous observons au niveau national sont transférés aux États et aux municipalités mal gouvernés où l’agenda des femmes semble être davantage un obstacle à éliminer ou un quota à remplir par obligation ». 

Le jour sans nous

Les Brujas del mar ont été les instigatrices d’un mouvement fort au Mexique, le día sin nosotras (le jour sans nous). Une grève nationale des femmes qui intervient, chaque année depuis 2020, au lendemain du 8 mars. L’objectif est de simuler la disparition de l’ensemble de la population féminine mexicaine, en réponse à la vague de violences à l’égard des femmes dans le pays, et de quantifier leur nombre.

Selon des spécialistes, cette journée fait perdre 35 millions de pesos au PIB. Arussi Unda estime que « 74 % des femmes mexicaines ont participé à la protestation. Médiatiquement, cette dernière a réussi à exploser l’agenda des femmes pendant des semaines, dans des tableaux d’analyse et de statistiques sur les différentes formes de violences qui nous touchent en raison de notre sexe ».

Le mouvement des femmes a été le seul à affronter tous les gouvernements.

Une grande réussite pour le collectif dont la mobilisation a eu un fort impact. Une réussite qui dérange certains. Un groupe de hackers, les Guacamaya, ont fait fuiter des documents confidentiels de l’armée, mettant en lumière une surveillance de nombreux collectifs féministes, dont celui des Brujas del mar. «Nous supposons que c’est à cause de l’impact de un jour sans nous. Au début, nous voulions penser que, peut- être, c’était pour écarter la théorie qu’ils ont eux-mêmes créée, que nous étions un groupe financé ou payé par leurs adversaires politiques et sans motivations authentiques. Mais avec le temps, nous avons compris que c’est parce que le mouvement des femmes a été le seul qui a réussi à affronter tous les gouvernements et qui pouvait représenter des menaces pour leurs intérêts ».

Un mouvement qui effraie le pouvoir en place. La révolution des sorcières mexicaine est en marche et elle est déterminée à conquérir ses droits. 

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.