Sexisme, grossophobie, homophobie, transphobie à l’école : « une maltraitance psychologique »

Dans plusieurs établissements scolaires en France, des témoignages montrent que les discriminations sont discrètes mais récurrentes. Certains personnels éducatifs cherchent des solutions. Enquête.

« L’homosexualité est une maladie mentale ! » Lola, ancienne élève d’un collège d’Angers se souvient parfaitement du jour où une professeur a prononcé ces mots qu’elle a réitérés de nombreuses fois. Lola en a parlé au principal. Aujourd’hui, la professeure n’exerce plus dans ce collège. Mais toutes ces dérives ne sont pas aussi bien prises en compte. Marion, lycéenne, arrive à chaque cours d’SVT avec la boule au ventre. En surpoids, le professeur s’en prend à elle sans arrêt. Lors des cours sur les mouvements cardiovasculaires, il lui demande de faire des exercices pour la voir s’essouffler. Elle finit en pleurs devant le reste de la classe. Régulièrement, elle a le droit à : « si vous êtes gros comme elle vous allez mourir jeune. » Suite à ces propos, Marion est maintenant harcelée par ses camarades. Elle ne vient plus en cours et compte porter plainte une fois son baccalauréat en poche. Le comportement de cet enseignant est pourtant connu. Si les élèves se plaignent, il met une heure de colle en proclamant : « ici on n’est pas dans une démocratie ». Des parents d’élèves ont retiré leurs enfants de cet établissement. Mais l’enseignant reste indétrônable. Les autres professeurs et la directrice ne croient pas les jeunes qui le dénoncent. Les élèves « inventent des histoires » car « ce n’est pas un homme comme ça ».

La transphobie, une violence ordinaire

Léo*, lycéen transgenre a réussi à changer son prénom à l’Etat civil au cours de l’année scolaire. Ses camarades et certains professeurs l’appelaient déjà Léo. Face aux refus de certains, il a décidé de faire une copie de son Etat civil en guise de preuve, notamment pour qu’une professeure cesse de l’appeler par son deadname (ancien prénom), en vain. D’autres enseignants lui ont fait des réflexions comme « pourquoi tu continues à mettre des shorts si tu veux te faire passer pour un garçon, à un moment donné, il faut arrêter d’être habillé comme une fille ». Selon une enquête de StopSuicide, la moitié des transgenres ont été victimes de discriminations et/ou de violences lors de leur scolarité. L’étude montre aussi que presque deux tiers des jeunes transgenres entre 16 et 26 ans ont déjà pensé au suicide, contre seulement 20% des jeunes en général.

Laura* travaille dans un lycée de Côte-d’Or où « beaucoup d’élèves sont ouverts sur les questions de tolérance et sont engagés sur la défense des droits LGBT+ », explique-t-elle. Il y a rarement des problèmes entre les jeunes mais l’enseignante déplore que ces élèves « sont énormément confrontés à l’homophobie et la transphobie de l’établissement ». Se penchant sur le sujet, elle s’est vite rendu compte que les problèmes venaient du personnel éducatif. Selon elle, c’est tout le système scolaire qui est en cause : « Il y a tout à jeter et tout à revoir. Les transgenres doivent pouvoir faire leur scolarité dans de bonnes conditions. Mais des professeurs considèrent la transidentité comme un effet de mode. »

Pour prendre en charge ces élèves, Laura s’est renseignée : « C’est le flou juridique complet » se désole-t-elle. C’est au bon vouloir des établissements d’accepter ou non les prénoms d’usage. Lorsque le chef d’établissement change, les règles aussi. « Le proviseur ayant changé du jour au lendemain, il a été interdit d’appeler les élèves par des prénoms d’usage, même à l’oral ». Laura explique que « c’est très violent », des jeunes sont effondrés : « On a failli en perdre et je pèse mes mots. Ce principal interpellait les garçons transgenres avec des “bonjour jeune fille” ». Elle, ainsi qu’une poignée d’enseignants, ont donc décidé de ne pas obéir. Sous couvert de « liberté d’expression », des adultes de l’établissement tiennent des propos transphobes. Pour eux, il n’y a rien de grave mais « la transphobie est une maltraitance psychologique » rappelle Laura.

« J’ai appris récemment qu’il était autorisé de changer le prénom d’usage d’élève transgenre dans les bases de données des établissements scolaires, précise Laura. Il n’y a rien qui l’interdit contrairement à ce qu’on m’avait toujours dit depuis des années. » Mauvaise volonté ou méconnaissance des chefs d’établissements ? « Les établissements sont donc convenus d’accepter sans sourciller les changements de prénoms des élèves ». Alors, Laura a décidé d’agir en mettant en place un groupe de parole sur la transphobie vécue dans l’établissement. Elle est la seule qui se mobilise dans ce lycée. Avec ce groupe d’élèves, Laura a pris l’habitude d’organiser des réunions tous les mercredis de façon informelle. Ce groupe n’est pas une exception en France, cependant cela reste anecdotique. Les proviseurs gèrent cela comme ils en ont envie, ils peuvent prendre en charge la question de façon bienveillante, ou alors ignorer le problème voire interdire les prénoms d’usage. »

Cette année, l’Académie de Dijon a lancé des groupes de travail sur la transphobie. Un plan national doit être lancé en 2021. « Il faut arrêter de se voiler la face sur les discriminations que vivent les élèves LGBT ». Si de tels plans sont mis en place au niveau national, cela laisse penser que la transphobie est très présente en milieu scolaire. « En tant qu’enseignante, je ne peux pas être face à ces élèves et les ignorer. C’est mon rôle, humainement et professionnellement, de les soutenir. »

En EPS, des pompes pour “filles

L’Éducation Physique et Sportive (EPS) est particulièrement touchée par les problèmes de sexisme. Garçons et filles sont différenciés par le barème de notation, plus indulgent pour les adolescentes. Alors, les professeurs continuent cette différenciation et ne se rendent pas compte que leurs propos sont sexistes. Marie, lycéenne, explique que son professeur d’EPS valorise beaucoup les garçons. Selon lui, les filles sont toujours « moins performantes ». Au cours d’un exercice physique, Marie et sa coéquipière terminent premières, mais au lieu de les féliciter, l’enseignant dit aux garçons de « se bouger » car c’est impossible que des filles soient meilleures… Dans un autre établissement de la région bordelaise, Ana raconte son expérience de collégienne. « Les filles étaient plus grandes que la majorité des garçons, mais en baseball, l’enseignant nous faisait systématiquement utiliser les battes pour enfants. Les garçons, dès la 6ème, avaient des battes d’adulte. On nous attribue toujours le matériel le moins « dangereux », comme des balles en mousse plutôt que des ballons normaux pour le handball, poursuit Ana. Pour s’échauffer avant les séances d’EPS, on avait le choix entre faire des pompes « normales » ou ce que le prof appelait des pompes « de filles », qui sont plus simples car on s’appuie sur les coudes. »

Lors d’une enquête réalisée dans un lycée d’Auxerre en 2016, Sigolène Couchot-Schiex, chercheuse, montrait que beaucoup de propos sexistes ou homophobes étaient tenus pendant les cours d’EPS. Elle a interrogé 3 400 collégiens sur les violences sexistes verbales. Parmi les questions posées : « Est-ce que tu as entendu de la part des personnels des propos vulgaires ou dégradants concernant les hommes ou les femmes ? ». Réponse : 7% de “oui”. Une autre question demandait « est-ce que tu as entendu de la part des personnels des propos vulgaires ou dégradants concernant la sexualité », et cette fois, 4% de “oui”. « Cela fait des petits pourcentages, mais montre que le problème est présent, remarque Sigolène Couchot-Schiex. En cumulant les réponses du questionnaire, on obtient plus de 15% d’élèves qui rapportent des propos dégradants. » En 2017, la chercheuse avait consacré un article sur le sexisme en EPS en mettant en lumière ces statistiques. Elle a également écrit un autre article sur le sujet dans The Conversation intitulé « Sportives : à vos marques, prêtes ? Restez-là » qui résume les obstacles que rencontrent les filles dans le sport. Mais certains élèves ne dénoncent pas les propos sexistes. Seulement 12,5% ont avoué en parler à leurs parents et encore moins osent le dire à la direction de leur établissement.

Blanche de Castille au coeur de la dérive

Dans le lycée Blanche de Castille de Nantes, plusieurs anciens élèves ont aussi témoigné de propos déplacés. Un professeur d’Histoire-géographie, en place depuis des années, accumule les accusations : racisme, homophobie, transphobie et minimisation des responsabilités françaises dans le génocif juif, ont été entendus dans ses cours. Aucun élève n’est visé personnellement, mais l’enseignant se permet de nombreuses dérives… Il appelle par exemple « petits hommes jaunes » les Japonais et les Mongoles sont de « petites bêtes jaunes à l’instinct primitif ». De la même façon, il ose faire des comparaisons douteuses entre l’extermination du peuple Juif et la procréation médicalement assistée (PMA) à laquelle il s’oppose : « Les Juifs dans les camps d’extermination sont traités comme nos foetus dans les laboratoires aujourd’hui ». Il dira à ses élèves quelques mois plus tard que la PMA est une « bêtise humaine qui permet à deux personnes du même sexe d’avoir des enfants » et que « devenir une femme quand on est un homme, c’est à la mode ! » Le sujet de la Seconde Guerre mondiale est souvent l’objet de propos contraires aux programmes de l’Éducation Nationale. Il apprend à ses élèves que « la France n’a jamais collaboré avec les Nazis » et que le gouvernement actuel ment, ou encore que le régime de Vichy est « anecdotique ». La plupart des élèves, habitués à ces remarques, restent « impassible, pour eux c’est la normalité ». La solution serait de faire remonter le problème, mais les élèves ne sont pas écoutés. Comment réussir à parler lorsqu’une personne de l’équipe de direction compare le drapeau arc-en-ciel LGBT au drapeau du régime Nazi ? Deux élèves qui avaient fait un exposé traitant de la vision de Trump sur la gaypride ont été convoquées : Il était inadmissible d’afficher dans la classe un exposé comprenant le drapeau LGBT par « respect pour l’établissement catholique ». La direction s’est défendue ainsi : « C’est comme si j’avais un drapeau Nazi dans mon bureau ».

Nous avons tenté d’interroger un directeur général de la région Nantaise. Malgré la garantie de préserver son anonymat, il était très réticent à parler. C’est « un peu confidentiel », affirme t-il. Pourtant, il assure avoir conscience que ce type de dérives existe, il est notamment chargé des professeurs qui les causent. Néanmoins, il est difficile de prouver qu’un professeur a tenu ces propos sur la base de « simples accusations orales ». C’est la voix de l’enseignant contre la voix des élèves. Il est rare que les professeurs débordent d’une telle manière lors d’une inspection. Le directeur général admet qu’assez peu de professeurs sont retirés de l’enseignement.

Encourager les élèves à parler

« Tout établissement sous contrat doit être tenu de suivre le programme de l’Education Nationale et surtout d’être dans un suivi républicain. C’est très important » explique Catherine Schaefer, coordinatrice de vie scolaire de l’institution Sainte-Chrétienne de Sarreguemines. Son poste n’existe pas dans tous les collèges ou lycées, c’est un choix de son établissement. L’objectif est de mettre les élèves en confiance et d’encourager la prise de parole en cas de problème. Pour que ces dérives ne restent pas « cachées », Catherine Schaefer a un « point d’écoute ». Jeune collégien de dix ans à peine ou grand lycéen déjà majeur, tout le monde peut venir lui parler. « C’est très important que l’équipe éducative respecte les élèves et qu’ils puissent se dire qu’une situation est anormale et qu’il faut en parler. Ce qui fait taire les jeunes, c’est quand la dérive est banalisée. »

Mais alors comment croire les élèves ? Dès qu’un jeune signale la dérive d’un professeur, Catherine Schaefer se positionne en tant qu’« aide », en disant qu’elle ne cautionne pas ce comportement.
« C’est très important que l’enfant entende qu’il est soutenu. Les élèves ne montent pas quelque chose contre un professeur pour lui nuire sans raison ». Mais elle prend tout de même ces déclarations avec des pincettes : une fois l’élève entendu, elle doit comprendre comment et pourquoi cette situation s’est passée. Mais, d’autres « problèmes plus graves » sont parfois difficiles à régler : « Mon chef d’établissement est mon supérieur hiérarchique, donc si je fais une erreur de ce genre il va me reprendre. A contrario, les professeurs dépendent de l’Éducation Nationale, donc leur supérieur hiérarchique est le recteur ou l’inspecteur d’Académie et non le chef d’établissement. Quand un enseignant a des réactions problématiques, il faut une faute grave pour que le problème soit pris au sérieux, d’où l’importance de parler quand il y a un souci. Ce n’est pas que la mauvaise volonté du chef d’établissement, c’est le système qui complique les choses. »

L’Éducation Nationale est donc au fait de l’existence de ces problèmes dans plusieurs établissements, mais il reste difficile d’agir car c’est souvent une parole contre une autre et les preuves sont minces. Pour sensibiliser les personnels éducatifs à la transidentité, au sexisme etc., les rectorats se sont pourvus d’une « mission égalité filles-garçons ». Ces chargés de mission s’occupent de coordonner la politique éducative en faveur de l’égalité à l’école. D’autres organismes comme l’Institut Egaligone encouragent le développement égalitaire chez les enfants. La majorité des actions menées sont destinées à sensibiliser sur la question de la mixité et du sexisme dans les établissements scolaires. Une démarche d’actualité qui doit permettre de partager une vision collective de l’égalité.

*Les prénoms ont été modifiés

Eva Proust et Léna Saint Jalmes

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.