Réseaux sociaux : la jeune génération chinoise perdue dans le monde illusoire des likes.

La jeune génération chinoise perdue dans le monde illusoire des likes.

« Shanghai Ladies » : la jeune génération perdue dans le monde illusoire des likes

Un blogueur infiltré dans le groupe des Shanghai Ladies dévoile la misère des prétendues filles de luxe. Une affaire qui lève le voile sur les dérives des réseaux sociaux.

« Young, Fashion, Money », ce sont les trois mots-clés de la Carte d’invitation des groupes Wechat de Shanghai Ladies. Ces jeunes influenceuses se présentent comme les socialites de Shanghai, cet anglicisme pour désigner les filles de la haute société qui participent à des bals exclusifs ou à des galas de charité. Attiré par les activités de cette association (échanges de produits de luxe, rencontres avec des héritiers des géants du monde financier…), Lizhonger, un blogueur chinois, a fait semblant d’être une fille et a payé 500 yuan (63 euros) pour s’y infiltrer. Après quinze jours en tant qu’observateur des « socialites », Lizhonger a dévoilé le monde des soi-disant « ladies riches » dans son blog publié le 11 octobre dernier.

Les fake socialites

Au lieu d’une communauté de socialites, le blogueur a découvert un groupe qui cherche surtout à paraître riches. Les filles sont 40 à payer une chambre à l’hôtel de luxe Bvlgari Hotel Shanghai, chacune payant 125 yuan (16 euros) pour partager les coûts. Et puis elles se prennent en photos et les postent sur les réseaux sociaux avec la localisation de l’hôtel, disant : « C’est très cool d’être indépendante financièrement ! » « Les ladies sont même allées jusqu’à partager le coût d’un collant Gucci d’occasion », a ajouté Lizhonger.Par contre, la plupart des membres du groupe ne gagnent qu’environ 5 000 yuans (637 euros) par mois, alors que le revenu mensuel moyen à Shanghai est de 9 580 yuans (1 220,29 euros).Selon le blogueur, en faisant semblant d’être riches, les filles cherchent à gagner des likes et à obtenir plus de followers.

Derrière la course aux likes

Au lendemain, le hashtag #Groupe de Shanghai Ladies# a compté plus de 1,2 milliard de vues sur Weibo, l’un des plus grands réseaux sociaux en Chine. Alors que les internautes chinois ne comprennent pas leur obsession pour les likes et critiquent leur vanité, les experts ne sont pas surpris par ce phénomène. Selon Daocheng Yan, directeur du département de réseaux sociaux et de nouveaux médias de l’Institut du journalisme et de la communication de l’Université normale du Hunan, le comportement de ces filles s’explique par le besoin de reconnaissance. En effet, les gens ne peuvent pas exister sans les autres. Ils cherchent à obtenir un sentiment d’appartenance, qui est une affirmation de leur propre valeur. « Si les gens sont en marge du cercle, ils se sentiront isolés. Et les jeunes sont particulièrement vulnérables à la solitude. Ils ont donc plus besoin de la reconnaissance du cercle auquel ils appartiennent. Peu importe ce qu’ils font, ils veulent être reconnus par les autres », a expliqué le directeur. « Les jeunes sont une génération qui a grandi dans l’agitation d’Internet et qui ne peut donc pas supporter le silence. Ce n’est qu’au centre du cercle qu’ils peuvent se sentir en sécurité. Par conséquent, le like est devenu un moyen important pour eux de maintenir leur propre cercle », a-t-il ajouté.

L’addiction à la popularité sur les réseaux sociaux n’est pas un phémonère typiquement chinois. Dans un article publié sur Vogue, Sarah Raphael, journaliste indépendante britannique, a analysé les conséquences des réseaux sociaux sur les jeunes au niveau international. « La course aux likes et à la popularité sur les réseaux sociaux a eu des conséquences psychologiques majeurs sur notre comportement », a-t-elle confirmé. En effet, non seulement nous jugeons les autres d’après une série d’images, mais nous avons aussi appris à nous juger nous-mêmes de l’extérieur. Avant de poster une photo, on va tout d’abord juger qu’elle digne d’un like ou pas. Cela explique pourquoi les jeunes internautes cherchent à ne publier que des photos de luxe sur les SNS, parce qu’ils les jugent comme méritées d’être likées. « L’action de nous voir nous-mêmes comme les autres nous verraient, et de nous juger comme les autres nous jugeraient, s’appelle l’auto-objectification », a conclu Mme Raphael.

Autre conséquence. La jeune génération a tendance à faire de « gagner des likes » leur carrière. Selon l’enquête de l’agence Xinhua sur la Profession émergente préférée de la génération Z, 54 % des jeunes nés après 1995 ont choisi les « Influenceur-ses sur les réseaux sociaux » comme leur métier idéal.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.