Illustration d'un post de Q sur le forum 4chan.

Exemple de message posté par “Q“ sur l’imageboard 4chan en novembre 2017

Qanon : l’inquiétant succès d’une théorie du complot pro-Trump

À l’approche des élections présidentielles américaines, le mouvement d’extrême droite QAnon s’impose de plus en plus dans les débats. Décryptage de cette théorie du complot à la diffusion accélérée par les réseaux sociaux.

En seulement 3 ans, le mouvement Qanon est passé du statut d’obscure conspiration d’extrême droite suivie par une poignée d’initiés à celui de mouvement populaire connu par un américain sur deux. Une diffusion fulgurante qui prend racine sur le forum américain 4chan en octobre 2017, où un utilisateur anonyme s’identifiant sous le pseudonyme de “Q“ poste une volée de messages cryptiques où il s’identifie comme un haut fonctionnaire du gouvernement. Selon lui, Donald Trump serait un agent infiltré cherchant à lutter contre le “deep state“, une gigantesque secte pédocriminelle composée des Clintons, des Rothschild, des Obamas, mais aussi de nombreuses stars hollywoodiennes. Une sorte de sauveur combattant le mal pour le bien des États-Unis.

Le confinement fait bondir le nombre d’adeptes

Trafics d’enfants, conspiration mondiale, détournements de fonds… Tous les clichés les plus grossiers se retrouvent dans cette histoire pour le moins farfelue et qui fait directement suite à la Pizzagate, une théorie plus ancienne selon laquelle il existerait un réseau pédophile autour d’Hilary Clinton. Entre 2018 et 2019, Q continue de poster régulièrement des messages, lui permettant d’obtenir une communauté de fidèles s’acharnant à donner un sens à ses textes codés. Les apparitions publiques de Donald Trump sont analysées et interprétées par les internautes cherchant des indices validant la théorie, créant dans la foulée une multitude de sous- forums et de pages de discussions dédiées. Petit à petit, diverses chaînes YouTube et podcasts amateurs sont lancés, eux aussi cherchant à “décoder“ les textes. Plusieurs applications permettant d’obtenir les derniers “QDrops“ (les publications de Q) apparaissent sur les stores d’application. En début d’année 2020, le confinement quasi mondial donne de l’ampleur au mouvement : le nombre d’inscriptions à des groupes Facebook bondi de 120% à la fin mars et aurait augmenté de 651% jusqu’à la mi-août. À l’approche des élections, Qanon n’est plus une niche obscure : les pancartes avec le logo du mouvement fleurissent dans les meetings républicains, et certaines politiques affichent désormais ouvertement leur soutien au mouvement dans l’espoir de récupérer des voix.

Une théorie du complot participative

Il semble légitime de se demander comment une théorie si improbable a pu convaincre un aussi grand nombre de citoyens américains. D’après un rapport de psychologues de l’Université du Kent, la peur et l’anxiété sont des facteurs importants dans la diffusion d’une théorie du complot, qui permet à ses adeptes de simplifier une situation compliquée (comme la crise du COVID, le réchauffement climatique, la crise économique…). Qanon est également une histoire qui englobe de plus en plus de sujets au fur et à mesure qu’elle prend de l’ampleur : les membres peuvent reprendre n’importe quel thème et le modifier pour qu’il aille dans leur sens. Les communautés doutant du 11 septembre, du COVID, du port du masque ou encore des vaccins se sont récemment rapprochées de Qanon, s’assimilant facilement à cette narration de gigantesque conspiration mondiale. La diffusion par Internet permet aussi de transformer la théorie en une sorte de jeu : Qanon est une théorie du complot participative. Chacun est libre d’interpréter les posts de Q à sa manière, de commenter et de chercher à résoudre le grand complot mystique à l’aide d’une entraide collective sur les forums dédiés. Tout ceci est renforcé par les réseaux sociaux, qui ajoutent un aspect communautaire et créent des “bulles d’informations“ pour leur membre. À cause des algorithmes, ceux-ci sont quotidiennement abreuvés de fake news liées à Qanon, un cercle vicieux dont les utilisateurs n’ont pas forcément conscience – et dont il est difficile de s’extirper. Les GAFAM n’ont réagi au problème que trop tardivement, attendant l’été 2020 et l’arrivée prochaine des élections avant de sérieusement modérer les contenus liés à Qanon.

Une importance politique non négligeable

Donald Trump est toujours resté ambigu sur ce qu’il sait de QAnon : une manière indirecte de soutenir le mouvement tout en rendant la théorie plus crédible aux yeux des supporters. Interrogé cet été lors d’une conférence de presse, il explique ne pas connaître Qanon mais comprends que ce sont « des patriotes » qui « aiment leur pays ». Lors du débat télévisé de jeudi 15 octobre, le président américain a une fois de plus évité la question, en rappelant simplement qu’il partageait leur vision contre la pédophilie. Or, il serait naïf de penser que Donald Trump ne s’est juste pas renseigné sur le sujet. Le président américain est un habitué des théories du complot, au point qu’il existe même une page Wikipedia recensant toutes celles qu’il a promues. Sur les réseaux sociaux, il n’hésite pas à partager allègrement des comptes liés au mouvement : le 4 juillet dernier, il a retweeté en une journée pas moins de 14 tweets de comptes supportant Qanon.

Il faut dire que cette communauté peut avoir une importance politique non négligeable pour une éventuelle réélection. À moins d’un mois des élections présidentielles, un américain sur deux déclarait connaître Qanon, et 9% expliquaient en avoir entendu “beaucoup parler“. Plus effrayant encore, la candidate ouvertement pro-Qanon Marjorie Greene a cet été remporté la primaire républicaine de Georgie avec 57% des voix, lui assurant quasiment une place au Congrès.

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Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.