TousAntiCovid, l’appli qui peine à convaincre

Depuis le 22 octobre, une nouvelle version de l’application anti Covid-19 est proposée en France. Son fonctionnement parfois nébuleux et son efficacité limitée laisse planer des doutes.


Le gouvernement espérait que 20 % des Français la téléchargent à la fin du mois d’octobre. Pari perdu. Rénovée, l’application TousAntiCovid a encore du mal à trouver son public. Au 7 novembre, elle a été installée seulement 8 millions de fois. Cédric O, secrétaire d’État chargé du numérique, reconnaît que l’application ne sera efficace qu’au seuil des 15 millions d’utilisateurs actifs.

Sur son site, le gouvernement assure que « chaque utilisateur est libre d’activer [l’application] et de la désactiver au gré des situations » et ajoute avoir collaboré avec des experts « attachés à préserver la sécurité et la vie privée ». Aussi, la compatibilité de l’application avec de multiples modèles de smartphones a été étendue pour assurer une meilleure couverture de la population par l’application. Bémol, elle engendre de nombreux dysfonctionnements. Les puces Bluetooth variant à chaque génération de smartphones, les plus récentes interfèrent avec les versions antérieures. Résultat, certains utilisateurs ne sont pas notifiés alors qu’ils vivent avec une personne positive. Le 5 novembre, le journaliste François Baudonnet publiait sa mauvaise expérience de TousAntiCovid. Après le signalement de sa femme testée positive, il reçoit une notification, au bout de 36 heures, lui assurant qu’il n’y avait pas « d’exposition à risque détectée ». Alors qu’ils vivent sous le même toit ! « C’est beau mais ça ne marche pas », conclut le journaliste de France Télévision. Un bug sur lequel travaille les concepteurs mais qui risque de compromettre les statistiques de l’application.

Téléchargements quotidiens depuis le lancement de StopCovid le 02/06/2020 et TousAntiCovid depuis le 22/10/ 2020. Source : France Inter


Consommation excessive, efficacité limitée

Une fois l’application installée, tout n’est pas gagné pour autant. Pour tracer efficacement le virus, chaque utilisateur doit laisser l’application fonctionner en arrière-plan. Un système très énergivore qui rappelle un point faible de la première version StopCovid. Micha Benoliel, un des concepteurs, affirme pourtant dans un tweet que la consommation maximale de batterie par l’application ne dépasse pas les 3,5 %. En réponse, des dizaines d’utilisateurs ont posté des screens de leur smartphone affichant le message d’alerte « Application énergivore détectée ». Chez certains, elle a même été désactivé automatiquement par leur téléphone.

Message d’alerte affiché par plusieurs smartphones après activation du traçage numérique.


« Elle ne vous dit pas quand ni où vous avez été exposé. »

En plus de cette surconsommation, le système d’alerte de l’application est limité. Les téléphones actifs doivent se trouver à proximité l’un de l’autre durant quinze minutes pour pouvoir partager des messages d’alerte et notifier les utilisateurs. Selon le syndicat UNSA Défense Auvergne Rhône-Alpes, TousAntiCovid est trop approximative : « Elle ne vous dit pas quand ni où vous avez été exposé. Difficile d’en tirer des conclusions ou d’avertir des collègues qui eux, n’ont pas l’application et ont été également exposés. » Une conséquence normale puisque le système de l’application « ne stocke que l’historique de proximité d’un téléphone mobile et aucune autre donnée », rappelle le communiqué du gouvernement.


Protection des données ou protection sanitaire ?

Le choix de la protection des utilisateurs se fait au dépend de l’efficacité du traçage. L’application française n’est pas la seule concernée par le problème, mais a, en revanche, un régime de stockage différent qui a pu susciter des craintes chez les utilisateurs potentiels. La version allemande a su trouver une parade : la Corona-Warn-App atteignait les 18 millions de téléchargements début septembre. Une confiance obtenue grâce à une gestion « décentralisée » des données, qui ne circulent que via Bluetooth entre les smartphones. La France a, au contraire, développé un système centralisé qui rassemble les données obtenues au sein d’un serveur avant de les redistribuer. Cela peut faire craindre un usage illicite des données, alors que le gouvernement assure une protection totale. Il admet aussi qu’il « n’est pas possible de connaitre l’identité d’un utilisateur de l’application, ni qui il a croisé, ni où, ni quand ». Un choix qui rend le succès de TousAntiCovid hasardeux : Il est difficile d’estimer le nombre d’utilisateurs actifs en contact tracing.


« La protection des données est passée avant la lutte contre la pandémie. »


À Berlin, la journaliste Gwenaëlle Deboutte déplore, malgré le taux de téléchargements de l’application, un bilan mitigé : Les utilisateurs ont le choix de ne pas rendre public le résultat de leur test, même s’il est positif. « La protection des données est passée avant la lutte contre la pandémie. » regrette Ute Teichert, présidente de l’Union des médecins de la fonction publique. Face à la seconde vague de Covid-19, elle affirme qu’il faut pour ces applications un traçage plus efficace et des alertes directement envoyées aux autorités sanitaires.

Avec un lancement poussif et des bugs récurrents, il est difficile de parier sur l’efficacité de cette nouvelle version. Avec le choix fait par la France de rendre le citoyen « acteur de la lutte » contre la Covid-19, l’application prend le risque de voir son efficacité encore plus limitée.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.