Protection Universelle Maladie

Protection Universelle Maladie

Soin des demandeurs d’asile : une mesure hors-la-loi

Le gouvernement a annoncé en novembre la mise en place d’un délai de trois mois pour bénéficier de la Protection Universelle Maladie. Contestée par les associations, la mesure se révèle en désaccord tant avec la réalité des procédures d’accueil qu’avec le droit européen.

Le 6 novembre 2019, Edouard Philippe présentait les mesures officielles concernant la « politique d’immigration, d’asile et d’intégration » discutée lors du projet de loi de finances 2020. Parmi les mesures santé qui ont fait grand bruit, l’une concerne la mise en place d’un délai de carence de trois mois pour obtenir la Protection Universelle Maladie (PUMa). Instituée en 2016, elle permet la prise en charge des frais de santé de tout personne qui travaille ou réside en France de manière stable et régulière. Dans le cadre de ce plan immigration, ce sont les demandeurs d’asile qui sont visés. Comme les bénéficiaires de l’Aide Médicale d’Etat (AME), ils sont soupçonnés par le gouvernement de « migrations pour soins », c’est-à-dire de venir en France dans le but unique de se faire soigner à moindre coût.

Incompatible avec la réalité du terrain

Ce délai de carence inquiète beaucoup les associations. Peu concertées pour préparer cette nouvelle mesure, elles dénoncent une décision incompatible avec la réalité du terrain. Les demandeurs d’asile n’ont souvent pas les moyens de payer eux-mêmes leur consultation ou leur traitement. Si les soins sont jugés non-urgents, ils attendront trois mois. S’ils sont sujets à des troubles psychologiques, fréquemment développés lors de leur parcours migratoire, ils attendront trois mois aussi.

Les conséquences que cela peut avoir, la mesure n’en prend pas compte. Pourtant elles sont nombreuses, tant pour les malades que pour le système dans sa globalité.  Les demandeurs d’asile seront contraints de se tourner vers d’autres services telles que les urgences, déjà fortement en tension. Mais cela signifie également devoir traiter des maladies plus avancées. Option coûteuse, elle se révèle surtout paradoxale : la chasse à la fraude est vendue comme un moyen de faire des économies.

Des questions d’autant problématiques que rien ne prouve ce phénomène de fraude et l’idée d’une « migration pour soin » que veut contrer le gouvernement. En juin dernier, ce dernier a missionné l’Inspection Générale des Affaires Sociales (Igas) et l’Inspection Générale des Finances (IGF) pour établir un rapport sur l’Aide Médicale d’Etat. Mais sur la PUMa, rien. Pourtant, cette mesure va impacter des milliers de personnes : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides a recensé près de 120 000 demandes d’asile en 2018.

Contraire au droit

Fait plus étonnant encore, ce délai de carence se révèle contraire avec le droit. En France, la visite médicale est une étape obligatoire à chaque admission dans un lieu d’hébergement pour demandeur d’asile et pour les personnes étrangères admises à rester sur le territoire plus de trois mois. Elle est également nécessaire pour demander un titre de séjour pour soins. Cette visite doit alors avoir lieu… dans les trois mois suivant l’enregistrement de la demande d’asile.

Vis-à-vis du droit européen, c’est à une directive du Parlement européen et du Conseil datant de juin 2013 que cette mesure s’oppose. En effet, d’après l’article 19, les demandeurs d’asile doivent avoir accès, tout au long de leur demande, au « traitement essentiel des maladies et de troubles mentaux graves ». Les Etats membre sont également tenus de fournir « l’assistance médicale nécessaire » aux demandeurs « ayant des besoins particuliers en matière d’accueil ». Sont ainsi concernées les personnes en situation de handicap ou encore les victimes de traite ou de violences sexuelles. Des droits que ce délai de carence met pour l’instant en péril.

Une mesure « coup de com’ » 

« L’AME est un sujet qui revient souvent dans le débat public mais la volonté de limiter l’accès aux soins aux demandeurs d’asile n’avait jamais été envisagée avant », révèle Laurent Delbos, responsable plaidoyer pour l’association Forum réfugiés-Cosi. Ce lobbyiste pour ONG l’avance à demi-mots, ce délai de carence n’est pas seulement inédit, c’est un « coup de com’ ».  La mesure cacherait ainsi la volonté de jouer sur la corde sensible de l’immigration dans une démarche électoraliste – 2022 est déjà dans toutes les têtes. En preuve selon lui une mesure particulièrement floue, prise sans y avoir vraiment réfléchi. « Délai de carence à partir de trois mois, d’accord. Mais trois mois à partir de quoi ? De la première demande en centre d’accueil ? De l’entrée sur le territoire ? Et comment prouver cette date ? Je suis sûr que la ministre de la Santé n’y a même pas pensé. »

Si les incertitudes sont nombreuses, une chose est sûre : la PUMa ne manquera pas de réveiller le débat lors des prochains votes au Parlement.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.