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Le Liban se noie sous les ordures

En 2015, sous le slogan « Tala’at Rihatkum », qui signifie : « vous puez », des milliers de manifestants avaient pris d’assaut la capitale libanaise, Beyrouth, pour dénoncer la situation catastrophique du pays en matière de traitement des déchets. 4 ans plus tard, la situation n’a pas évolué, le Liban ne parvient pas à sortir la tête des ordures.

À l’aéroport Rafik Hariri de Beyrouth, les voyageurs sont accueillis par une odeur d’ordures. La puanteur vient d’une déchèterie à proximité qui sature. Depuis la fermeture de la principale décharge du pays Naamé en 2015, la collecte des ordures a cessé et cette odeur, insupportable pour les touristes, est devenue normale pour les habitants de Beyrouth. « Il est impossible au Liban de se promener dans une rue sans voir des déchets », regrette Ghida Selman, une étudiante libanaise. « Cela commence à devenir quelque chose de normal pour nous, nous sommes habitués à vivre dans une poubelle géante. Quand nous voyons un trottoir propre, nous sommes surpris. »

Jounieh, 5ème ville la plus polluée du monde arabe

À l’odeur et la pollution de l’air, s’ajoute le problème de la qualité des eaux. Les sociétés privées qui gèrent les décharges sont accusées de rejeter les ordures à la mer au lieu de les recycler. La baignade est fortement déconseillée sur pratiquement toute la côte, seulement 16 sites sur 25 sont classés « propres à la baignade » selon le CNRS. La qualité de l’eau pose également le problème des poissons et fruits de mer qui sont consommés sans modération dans ce pays. À Jounieh, ville côtière du sud, les habitants ont dû modifié toute leur alimentation. Pour cause, le rapport Greenpeace qui place Jounieh en 5e place dans le classement des villes les plus polluées dans le monde arabe (2018).

Ces nombreuses conséquences sont le fruit d’années d’inaction et de laisser-aller de la part des Libanais. Après la guerre civile de 1975 qui dura 15 ans, le centre-ville de Beyrouth est reconstruit selon un modèle libéral. Ce dernier privilégie l’investissement privé dans le but de faire de la capitale un centre financier important. De nombreux services urbains sont laissés de côté, sont privés d’investissement et accumulent ainsi des problèmes d’infrastructures. L’eau, l’électricité et la gestion des déchets sont concernées.

Au sortir de la guerre, la question des déchets devient une urgence écologique. En 1994, le Conseil pour le Développement et la Reconstruction (CDR) lance un appel d’offres pour le ramassage des déchets dans la capitale. À cette époque, trois centres de rassemblement de déchets existent: les incinérateurs de la Quarantaine, ceux de Choueifat et la décharge de Bourj Hammoud. En 1997, les deux derniers doivent fermer en réponse aux plaintes des riverains. Sans solution et face à la crise, la société Sukleen, qui avait remporté le marché trois ans auparavant, va aménager la décharge de Naamé. Considérée comme une solution provisoire, cette décharge va finalement fonctionner près de 20 ans, jusqu’à sa saturation et sa fermeture en 2015.

Depuis, les poubelles s’accumulent dans les rues devenues des « décharges sauvages » et les Libanais sont à bout.

Les politiciens pointés du doigt

Les manifestations de 2015 mais également celles entamées le 16 octobre montrent la mobilisation des Libanais. Cible du mécontentement, les politiciens sont accusés de délaisser la population et surtout d’être corrompus. En 2018, Transparence International classe le Liban 138e sur 180 dans l’indice de perception de la corruption. « Les politiciens nous volent, ils nous laissent vivre au milieu des déchets, car ils préfèrent accepter des offres qui les enrichissent. La situation dans laquelle nous vivons est le symbole de l’échec politique» affirme Viviane G, 36 ans. Avec elle, des dizaines de milliers de Libanais sont dans la rue pour réclamer le départ de cette classe politique, sans oublier leur volonté de vivre dans un pays propre. Dans le centre-ville de Beyrouth, des volontaires se chargent de nettoyer les rues après chaque contestation pour montrer que « si nous pouvons le faire, la municipalité aussi» déclare l’un d’eux.


6000 cancers liés à la pollution

Mais les difficultés internes ne sont pas la seule raison de la crise des ordures. La guerre civile syrienne a largement modifié la démographie libanaise de 4,1 millions de résidents. Avec plus d’un million et demi de réfugiés depuis le début du conflit en 2012, qui s’ajoute aux 400000 Palestiniens déjà présents, le pays du Cèdre est devenu le pays avec le plus fort taux de réfugiés au monde -un habitant sur trois y a le statut de réfugié. Sur le terrain, Wassim Mansouri, avocat et conseiller au Parlement libanais, mesure les conséquences de cette arrivée massive. « Plus d’habitants au Liban veut dire plus d’ordures. En réponse, il devrait y avoir une adaptation des entreprises de nettoyage et des autorités publiques. Cependant ce n’est pas le cas: le ramassage des ordures et le nettoyage des rues ne sont pas assurés, car cela coûte trop cher. Le budget est limité, et malheureusement notre budget d’investissement est amputé par l’argent que nous consacrons à l’accueil des réfugiés. En France, vous êtes en crise de gestion avec plus de 30 000 réfugiés, alors imaginez comment nous sommes au Liban! »

Une prise de conscience et surtout une levée de fonds sont indispensables à la résolution de cette crise environnementale et sanitaire. En 2018, les autorités ont estimé à 6000 le nombre de cancers liés à la pollution. À cela s’ajoutent les symptômes de vomissement, de diarrhées et de maux de tête ressentis quotidiennement par les habitants vivant à proximité des décharges.

Le pays, immobilisé par les contestations, ne peut prendre aucune décision. Vendredi, des milliers de Libanais ont célébré la fête de l’indépendance à Beyrouth, profitant du cortège pour réclamer, une nouvelle fois, du changement.

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Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.