Les terrains de rugby français sont de plus en plus désertés par les jeunes.

« Le rugby, ça ne fait plus rêver les jeunes »

Licenciés en chute libre, blessures à répétition, équipe nationale en petite forme… Le rugby français ne vit pas ses meilleures heures. L’euphorie créée par la Coupe du monde 2007 en France est déjà bien loin. En attente de celle de 2023, les écoles de rugby continuent de se vider et les jeunes délaissent le ballon ovale.

Le 20 octobre dernier, l’équipe de France de rugby s’incline contre le Pays de Galles en quart de finale de la coupe du monde au Japon, marquant ainsi la fin de l’aventure pour les Bleus. Devant leurs télés, des milliers de jeunes français baissent les yeux face au nouveau désaveu de leurs idoles. Le rugby français prend un nouveau coup derrière la tête et comme pour beaucoup de sports, la réussite de l’équipe nationale joue fortement sur la notoriété de la discipline auprès des plus jeunes.

En termes de coup dur, le monde du rugby français n’en n’est pas à sa première infortune. Les Bleus ont longtemps enchainé les défaites (avant un léger réveil porteur d’espoir en début de Coupe du monde) et de nombreux enfants ont arrêté de rêver de ballon ovale. Conséquence : la France est passée de 542 242 licenciés en 2016 à 258 247 en 2018. Soit une diminution de moitié en deux ans selon le World rugby, l’organisme mondial du rugby. Ces chiffres impressionnants sont à relativiser, nous dit la Fédération Française de Rugby (FFR). Au changement à la présidence de l’institution, les nouveaux arrivants ont fait le ménage sur les doublons dans le comptage du nombre de licenciés et les chiffres gonflés par des licences ponctuelles. « A notre arrivée, pour une meilleure visibilité, on a tout remis à plat et on ne prend plus en compte que les licenciés permanents », indique la FFR à Sport 24 en juillet dernier. Cependant, la perte d’engouement pour le rugby reste marquée et la chute du nombre de licenciés serait tout de même de l’ordre de 10% selon la FFR.

Le rugbyboom de 2007

Bien sûr, la dégringolade du nombre de rugbymen n’est pas à imputer seulement aux résultats du XV de France. De multiples raisons rentrent en compte. Entre autres le fort engouement créé par la Coupe du monde 2007, organisée en France, qui s’est vite essoufflé. Avec une hausse de 13,74 % du nombre de licenciés passant de 276 056 en 2006 à 313 988 en 2007, l’événement a insuflé une vague rugby sur l’hexagone. Mais l’emballement post-événement fut éphémère. « Après, ça n’a pas duré, explique Gilles Vareilles, directeur sportif du club Rhône Sportif à Villeurbanne. L’hiver, avec la boue, sous la pluie, le rugby n’est pas toujours facile. Cet engouement a duré environ deux ou trois ans. Après ça a stagné. » Une analyse qui se confirme au regard des chiffres des écoles de rugby (jeunes jusqu’à 14 ans) du département du Rhône, presque toutes observent leur plus haut taux de licenciés en 2007 ou les deux années suivantes.

Infographie Canva, réalisée par Lionel Brossard.

« Les petits gabarits, on n’en veut plus »

L’ovalie souffre d’un mal qui semble presque irrémédiable. L’image du sport est ternie par la violence des chocs dans le rugby moderne notamment avec la multiplication des commotions cérébrales et le décès de trois jeunes joueurs l’année passée. La professionnalisation du rugby a poussé les joueurs à se muscler exponentiellement jusqu’à devenir des « monstres physiques ». Une réalité qui peut créer des barrières pour les jeunes. « Le nerf de notre guerre c’est de faire connaître et pratiquer le rugby. On a une grosse image avec le top 14 (ndlr : première division française), sauf que quand les mamans le regardent, elles disent ‘’ah non, ça c’est trop violent’’ », argumente Daniel Dézé, président du Comité départemental du Rhône.

Pour Gilles Vareilles, qui a connu le passage à la professionnalisation du rugby, c’en est trop : « Les types qui sont en Top 14, ils s’entraînent tous les jours, même deux fois par jour. Ils font beaucoup de musculation aussi, et ça, ça a changé la donne. Avant, les gamins pouvaient rêver de jouer au rugby, maintenant ils sont très vite arrêtés. Depuis une dizaine d’années, les centres de formation et les gros clubs sélectionnent les joueurs pour leurs capacités physiques, pas pour leur potentiel rugbystique. Les petits gabarits, on n’en veut plus. » Il conclut même tristement après avoir rappelé la phrase de l’ancien capitaine gallois qui évoquait la fort probable mort, un jour, d’un joueur en direct à la télévision : « Le rugby, ça ne fait plus rêver les jeunes. »

Moins de jeunes mais plus de femmes

Cependant, si les jeunes sont moins attirés par le rugby, certains Comités départementaux affichent des chiffres dans le vert. « Pour le Comité du Rhône, on est en progression. Avec 7 758 licenciés cette année, on est à 300 licenciés de plus », précise le président du Comité rhodanien. Une recrudescence qui s’explique notamment par les nombreuses créations d’équipes féminines et le développement du rugby loisir. Pour le club villeurbannais, par exemple, c’est aussi l’arrivée d’une équipe féminine qui permet de compenser les chiffres faiblards de l’école de rugby et d’afficher plus 300 licenciés en 8 ans. « Il y a une chose qui nous a booster cette année, c’est qu’une équipe féminine senior s’est montée. On a 43 filles licenciées dès la première année », affirme Gilles Vareilles. A l’échelle mondiale, le World rugby observe une hausse de 28% des effectifs entre 2017 et 2018, confirmant ainsi la tendance du développement du rugby féminin.

Motiver les jeunes à jouer au rugby. C’est le nerf de la guerre pour les Comités départementaux qui se font le relais entre les clubs et la fédération nationale et incitent également les clubs à faire connaître le sport dans les écoles. Daniel Dézé, président du Comité du Rhône mais aussi ancien président d’une école de rugby à Ecully peine à s’expliquer le désintérêt du jeune public. Il évoque un sport « à la carte » où les enfants zappent de sport en sport sans s’attacher à l’un en particulier, mais pointe aussi un certain manque d’infrastructure qui freine le développement du sport : « On a une école de rugby qui s’appelle Lyon Rugy (Lyon 5e) et qui n’a pas de terrain. A Lyon, pour 5000 m2 de terrain, au prix du mètre carré ici, on y voit plus un immeuble qu’un terrain de rugby. »

Le défi et lourd à relever pour la FFR pour que le rugby reste un sport populaire auprès des jeunes. Cette dernière mise gros sur la Coupe du monde 2023 qui fait son retour en France. L’événement est déjà dans tous les plans de la Fédération. Et d’ici là ? Trois longues années de traversée du désert attendent sûrement le rugby français, les yeux rivés sur l’horizon 2023.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.