Assassin’s Creed : quand le jeu vidéo devient un prétexte

Certaines périodes de l’Histoire font de parfaits scénarios pour les productions artistiques. Les jeux vidéo ne dérogent pas à la règle et la série Assassin’s Creed s’empare régulièrement de ces thématiques, en prenant toutefois quelques libertés. 

La Guerre du Péloponnèse, la Révolution Française, la Seconde Guerre Mondiale… De nombreux événements historiques s’adaptent aisément à plusieurs types de jeux vidéo : les RPG (jeux de rôle), les jeux de stratégie ou même les FPS (jeux de tir à la première personne). Mais peut-on décemment s’appuyer sur une production vidéo-ludique pour apprendre l’Histoire ? Doit-on craindre les raccourcis, les biais cognitifs, voire les mensonges dans l’interprétation historique de la part des développeurs de jeux vidéo ? Ces questions se sont d’ores et déjà posées pour la littérature ou pour l’industrie du film, lorsqu’il s’agit de traiter un événement historique. 

Comme pour le septième art, les concepteurs de jeux vidéo se permettent des libertés dans l’enchaînement des événements ou la temporalité pour servir un scénario. Les anachronismes ne sont pas rares et sont d’autant plus dangereux qu’ils sont très souvent vraisemblables et appuyés par des graphismes de plus en plus réalistes. Un exemple souvent cité est celui de la licence Assassin’s Creed. Ce jeu d’aventure édité par Ubisoft vous permet d’incarner un membre de la guilde des Assassins en conflit constant avec l’ordre des Templiers. Chaque épisode se tient lors d’un événement particulier de l’Histoire. Parmi les plus remarquables, Assassin’s Creed Unity à Paris pendant la Révolution Française, Assassin’s Creed II dans la Rome de la Renaissance et l’ascension des Borgia, ou encore Assassin’s Creed Origins juste avant le règne de Cléopâtre en Egypte. 

“Le medium est tellement puissant qu’il impose des clichés”

William blanc, Historien MÉDIÉVISTE

Dans Assassin’s Creed Unity, qui se déroule donc en 1789 dans la capitale, on peut voir des drapeaux bleu-blanc-rouge agités sur fond de Marseillaise. Or l’hymne national a été écrit en 1792 puis adopté en 1795, tandis que le drapeau tricolore n’a été introduit qu’en 1794. “Les développeurs ont une idée préconçue de ce qu’attend le public, de plus en plus diversifié et qui se mondialise de plus en plus. Le medium est tellement puissant qu’il impose des clichés”, explique William Blanc, historien médiéviste dans une interview accordée à Arte. Selon Usul, chroniqueur chez Médiapart et ancien journaliste pour le site Jeuxvidéo.com, les clichés sont aussi véhiculés par les principaux producteurs de jeux vidéo, à savoir les Etats-Unis et le Japon. “Il faudrait voir ce que d’autres pays qui ne sont pas de gros producteurs arriveraient à nous sortir. Je pense qu’on le verra dans quelques années. S’il y avait des jeux d’Amérique du Sud, je pense que ça serait très souvent les Américains les méchants”, explique le vidéaste.  

Si ces choix et omissions servent souvent le récit, d’aucuns dénoncent une tentative de transmission idéologique. L’image d’un Robespierre comme antagoniste principal dans ce même Assassin’s Creed Unity avait défrayé la chronique parmi la Gauche française lors de sa sortie en 2014. Jean-Luc Mélenchon, alors président du Parti de Gauche, avait déclaré sur les antennes de France info qu’il s’agissait d’une “relecture de l’Histoire” et n’hésitait pas à parler de “propagande politique”. Des propos auxquels avait réagi Antoine Vimal Du Monteil, l’un des producteurs du jeu chez Ubisoft Montréal, dans le journal Le Monde. Par médias interposés, le producteur déclarait que “Assassin’s Creed Unity [était] un jeu vidéo grand public, pas un cours d’histoire”.

Raconter l’Histoire par le Héros

Ces biais sont probablement dûs à la manière de raconter l’Histoire dans les productions artistiques et a fortiori dans les jeux vidéo. Très souvent, le joueur incarne un personnage héroïque dont chaque action va influer d’une manière ou d’une autre sur le cours de l’histoire. Pour Assassin’s Creed, il s’agit tour à tour d’Altaïr Ibn-La’Ahad, Ezio Auditore ou Bayek de Siwa. En centrant le scénario sur un seul personnage, le respect de l’Histoire véritable impliquerait des incohérences temporelles et géographiques évidentes.   

Ubisoft ne se cache pas d’utiliser l’Histoire comme un prétexte narratif et le spécifie même au démarrage de chaque jeu avec ce message : “Inspirée de personnages et événements historiques, cette œuvre de fiction a été pensée, développée et produite par une équipe multiculturelle aux croyances plurielles.” Ces discussions prouvent néanmoins que le jeu vidéo est devenu un medium à part entière qui dévoile un intérêt pédagogique certain.   

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.