Aris Messinis : “Faire du photojournalisme c’est capturer des moments historiques”

Fin avril, un attentat-suicide perpétré par Daesh a fait 14 morts à Kaboul. Parmi les victimes, un photojournaliste de l’AFP du nom de Shah Marai. Sa mort émeut toute l’agence de presse qui a salué le travail du photographe. Un événement qui montre la dureté d’une branche du journalisme qui est souvent laissée dans l’ombre.

Irak, Syrie, Lesbos, Aris Messinis a tout vu, tout connu. Photojournaliste à l’Agence France Presse depuis 2003, le Grec raconte avec humanité et passion son travail de photographe sur le terrain. Pendant la rencontre, il insiste sur le fait que le plus important restent les photographies et ce qu’elles racontent et non pas celui qui les fait.

Quel a été votre parcours avant de rejoindre l’AFP ?
J’ai commencé à 19 ans en tant que photographe sportif pendant plus d’un an, puis je suis devenu pigiste pour Associated Press ici à Athènes. J’ai travaillé là-bas pendant six ans et quand l’AFP a ouvert un bureau à Athènes en 2003, j’ai postulé et ils ont accepté. Avant tout cela, j’ai fait une école de photographie, mais je ne l’ai jamais terminée à cause du service militaire (obligatoire en Grèce, ndlr).

Est-ce difficile de capturer les émotions des personnes à travers la photographie ?
Bien sûr que c’est difficile. Tout d’abord on doit réagir rapidement pour que la personne photographiée, elle, ne réagisse pas au photographe ou à cause de son appareil, pour ainsi avoir une émotion naturelle. Capturer l’émotion d’une personne est l’action la plus difficile. Photographier des personnes dans des situations sérieuses est très intéressant car les yeux de ces personnes racontent l’histoire et leurs émotions. Faire du photojournalisme c’est capturer des moments historiques et l’histoire des individus.

Vous avez fait des photo-reportages à Lesbos, île qui est le théâtre de la crise des migrants depuis de nombreuses années. Quel est le message que vous voulez faire passer à travers vos différents clichés ?
On ne veut pas donner notre message personnel. Et même si on ne le veut pas, on le fait en un sens car quoi que l’on décide de capturer il s’agit ce qu’on ressent et ce qu’on pense. Mais dans notre métier, notre sentiment personnel, ce que nous pensons et ce que nous croyons, doit passer à l’arrière-plan. Nous sommes ici pour capturer le moment présent du mieux que nous pouvons et montrer aux gens ce qu’il se passe actuellement. Ces gens ne doivent pas être intéressés par le sentiment du photographe.

Est-ce qu’il y a des situations où vous avez posé l’appareil photo pour aider, ou est-ce que vous y avez pensé ?
Beaucoup de fois. Normalement on ne devrait pas parce que nous sommes là pour capturer ce qui est en train de se passer et si on s’implique, on change la réalité des faits. Cela dépend du photographe, comment il peut supporter la situation et aider ou donner un coup de main. J’ai aidé de temps en temps et je ne me sens pas fautif mais normalement, dans les strictes règles du photojournalisme, nous n’avons pas le droit d’interférer avec la réalité.

A Lesbos, nous avons aidé quelques réfugiés qui étaient en train de se noyer. Quand on voit des personnes en face de nous et que l’on est le seul à pouvoir aider, on ne peut pas faire autre chose que de secourir. En période de guerre aussi, il pouvait m’arriver d’aider à porter des enfants, des femmes. Quelques fois on doit poser notre appareil photo et être un être humain normal. Certaines personnes critiquent ça mais j’aimerais les voir dans la même situation pour voir leur réaction. C’est facile de critiquer depuis son sofa ou son ordinateur.

Vous avez fait des reportages lors d’événements sportifs et également à Lesbos, est-ce que vous avez le même genre d’idées en tête derrière votre appareil ? Est-ce que ce que vous voulez montrer ou transmettre est comparable dans ces différents contextes ?
Le sport est quelque chose d’amusant et de plaisant. Des faits de guerre, ou des faits qui ont les symptômes de la guerre comme la crise des réfugiés, font partie de notre histoire, nos enfants apprendront ça à l’école ce que nous photographions aujourd’hui. C’est quelque chose de totalement différent et pour moi c’est la partie sérieuse du métier. Pour certaines personnes le sport c’est sérieux, ils sont très passionnés par ça mais c’est juste du jeu.

Les émotions sont partout dans une photo. On ne peut pas comparer une compétition sportive avec la mort par exemple. Ce sont deux aspects du travail. Si tu es un photographe professionnel et que tu travailles dans une agence de presse internationale, tu photographies tout : sport, vie quotidienne, manifestations.

Est-ce que les émotions sont les mêmes entre des manifestants grecs et à la guerre ?
Quoi qu’il se passe après la crise, cela va être intéressant, et fera partie de l’Histoire grecque. Les personnes souffrent maintenant et souffriront encore de nombreuses années mais ce n’est pas comme la guerre. La guerre est la pire chose qui peut arriver à l’humanité. C’est triste et dur ce qui se passe ici en Grèce, beaucoup d’histoires ne seront jamais racontées mais la guerre n’est comparable avec rien du tout.

Est-ce que vous avez une photographie ou un reportage qui vous a marqué ?
Beaucoup. Quand vous travaillez dans un milieu dangereux il y a beaucoup de choses qui marquent. Et beaucoup d’autres que tu ne peux pas capturer avec l’appareil photo mais qui restent gravées, et surtout le son. A Lesbos par exemple où les gens crient, l’atmosphère est pesante.

Pour vous, quelle est la définition d’un photoreporter ?
D’abord il faut aimer ce que l’on fait parce qu’il faut aimer donner des histoires aux personnes. Si tu aimes ça, tu peux tout faire. A propos du danger, c’est un choix personnel. On doit être le plus objectif possible, peu importe les idées et pensées politiques que l’on peut avoir. Quand on travaille, on doit rester neutre : c’est le plus difficile mais c’est le point principal. Parce qu’on montre ses idées personnelles et ce n’est pas objectif.

Aujourd’hui, c’est très facile de prendre une photo, pendant un événement avec un téléphone portable par exemple. Est-ce que le photojournalisme a encore un futur ?
Le photojournalisme aura toujours un futur. La compétition est devenue très difficile, mais je pense que même un amateur avec un smartphone est important parce que nous ne pouvons pas être partout. On peut avoir des photos de n’importe quel lieu pour raconter une histoire. Le problème est comment on l’utilise.

Il y a un futur ; la profession est en train de changer avec la vidéo, la photo, les amateurs et les réseaux sociaux : c’est dangereux. Surtout les réseaux sociaux : on ne sait pas qui poste les photos, ce qui est écrit. C’est pour cela que les professionnels sont importants parce qu’avec ce qu’on présente, il y aura toujours un nom et une responsabilité. Poster une photo sur les réseaux sociaux avec un pseudo, c’est une chose à laquelle on ne peut pas faire confiance.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.