Axcel Chenney : « Le journaliste est un militant »

Agacé par la publication de documents l’incriminant dans une affaire de corruption, le ministre des affaires étrangères exclut Axcel Chenney de sa conférence de presse le mois dernier. Connu pour lever le voile sur les nombreux scandales politiques du pays, Axcel nous livre sa vision du journalisme.

Selon vous, quel est le rôle du journaliste dans la société ?

Axcel Chenney: Un journaliste a le devoir d’informer : une société informée est armée pour faire face à la réalité du pays. Pour moi, un journaliste, c’est un militant contre les oppresseurs, puisqu’on se range du côté du plus faible. Et cela concerne toutes les formes d’oppressions. Quand on est alerte sur les oppressions, on a fait la moitié du travail. Le reste, c’est la réaction de la population.

Vous êtes très concerné par la politique et les injustices. Le journalisme est-il le meilleur moyen de s’engager ?

AC: À Maurice, c’est un des meilleurs moyens, car les journalistes ont une certaine crédibilité. Cela aide à faire avancer les causes. Ici, les gens sont très alertes par rapport à la corruption. C’est ce sur quoi j’écris, et dès que je sors un document, les réactions sont énormes… du moins sur Facebook. On se sent comme quelqu’un qui a le pouvoir d’influer sur l’opinion des gens. Si les médias n’avaient pas dévoilé les nombreuses affaires de corruption du gouvernement, les conversations seraient différentes. Sur lexpress.mu et Facebook, il y a une tonalité très critique envers le pouvoir. C’est l’information qui a fait que les gens aujourd’hui osent traiter un ministre de menteur sur les réseaux sociaux…. Je n’ose pas imaginer ce pays sans les dénonciations des journalistes.

Votre ton très critique vous a valu d’être qualifié de «journaliste partisan ». Que répondez-vous ?

AC: Maurice est bipolaire. Quand le bloc A est au pouvoir, le bloc B est dans l’opposition, vice versa. Prenons la campagne de 2004, quand ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui faisaient campagne contre un système corrompu. J’avais eu de gros coups de gueules, en pleine conférence de presse, avec le premier ministre d’alors. Mon ordinateur était ouvert devant moi, je lui posais des questions et il m’a dit « Je sais que c’est le MSM* qui t’envoie des questions». Le MSM applaudissait, car  j’acculais leur adversaire. Mais aujourd’hui que ce sont eux au pouvoir, mon travail n’a pas changé : je les accule ! On m’accusera toujours de faire le jeu de l’autre. Oui, j’ai des sources politiques, c’est inévitable. Et toute source a une motivation ! Là, le MSM est au pouvoir. Ceux de l’opposition vont m’appeler pour dénoncer. Demain, quand ces gens seront au pouvoir, ils ne m’appelleront plus. C’est à nous de ne pas être dépendants d’une seule source.

Vous aviez postulé en 2016 pour prendre la direction de l’Independant Broadcasting Authority. Pourquoi contester leur choix en justice ?

AC: L’IBA** est le régulateur des radios. J’ai vu l’annonce, j’ai postulé. Je suis passé à la fois très près et très loin du poste. Très près car je pense que j’étais le mieux qualifie. Très loin, car j’ai été écarté dès le départ. Ici, les radios sont cruciales au moment des élections. On les rappelle à l’ordre, et c’est toujours pour protéger le gouvernement, puisque c’est toujours dirigé par un nominé politique. Jamais ils ne m’auraient donné le poste, car je suis critique envers le pouvoir, ils savent qu’ils ne peuvent pas m’utiliser comme exécutant de leurs ordres sales. Le « CSA mauricien » est l’organisme qui est censé délivrer une licence pour la télévision privée, inexistante à Maurice.  C’est donc un poste hautement stratégique politiquement. J’ai demandé un redressement judiciaire, car ils ont nommé une amie du pouvoir, celle qui était présidente de l’institution.

Un de vos combats est le FOIA : y a-t-il eu le moindre signe de vie du gouvernement à ce propos ?

AC: Je pourrais parier que d’ici la fin de ce mandat, rien ne sera fait. Pourtant c’est essentiel. Il n’y a qu’à voir l’exemple de ce journaliste nigérian. Ce cas dépasse le cas d’une investigation sensationnelle ; il y a un côté pratique et extrêmement positif, on a pu découvrir la solution à un problème grâce à lui. Mais je ne me fais aucune illusion à Maurice. C’est dans les promesses électorales, mais ça n’arrivera pas.

Vos deux dernières réponses interrogent sur la liberté d’expression à Maurice …

AC: Maurice n’est pas un pays où il n y a pas de liberté d’expression. Mais ça reste un pays corrompu. On n’a pas de télé privée, mais je peux présenter une émission telle que Menteur-Menteur sans répercussion. Il n’y a pas d’emprisonnement des journalistes, mais le délit de presse existe ! C’est pourtant aboli dans la majeure partie des pays africains… La mentalité des consommateurs de l’information progresse, ils se rendent compte de l’impact de la politique sur leur vie. C’est ce qui fait que les médias sont forts, que ma vie n’est pas menacée, même si j’ose insulter des ministres. Cela ne veut pas dire qu’il n y’a aucune forme d’oppression des journalistes. Les agents du NSS (National Security Service) sont derrière nous, nos téléphones sont sur écoute. Un ministre a dit  « il y a trois journalistes qui vont chez tel politicien régulièrement ». C’est vrai, mais comment le sait-il ?  On est suivis. Je reste prudent.

*Mouvement Socialiste Militant, ancien parti de l’opposition.

** Equivalent du CSA en France.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.