Thaïlande : les journalistes muselés par la loi

Jonathan Head, correspondant pour la BBC Asie du Sud-Est, est actuellement accusé de diffamation suite à la publication d’un reportage en ligne. En Thaïlande, les pressions judiciaires sont un moyen courant pour faire taire les journalistes.

Alors même que le jugement n’a pas encore été rendu, le journaliste s’est vu confisquer son passeport, son visa et son permis de travail, l’empêchant ainsi d’exercer. C’est en effet la procédure habituelle pour tout étranger accusé de diffamation ou de violation de l’Acte de cybercriminalité. Celui-ci permet aux autorités de surveiller ce qui est publié sur le web. Jonathan Head est également suspecté d’avoir enfreint cette loi, il risque alors jusqu’à 5 ans de prison.

Dans son reportage, il dénonce des escroqueries immobilières dont a été victime un retraité britannique. Celui-ci s’est fait dérober ses biens par sa femme en imitant sa signature. Les documents ont d’ailleurs été certifiés conformes par un avocat. Ce dernier, considérant que les détails du reportage étaient faux, a porté plainte contre le journaliste pour diffamation. L’article lui aurait également valu « des insultes et de la haine ».

Selon la déclaration du Club des correspondants étrangers de Thaïlande, dont Jonathan Head est le président, ce cas illustre bien « jusqu’où un journaliste est prêt à aller dans son enquête pour servir l’intérêt public, sans avoir peur d’être poursuivi par la justice ».

Journalistes devant la justice : des cas à répétition

« Les lois sur la diffamation et le Computer Crimes Act doivent être urgemment réformées voire abrogées car elles permettent à tous ceux qui font l’objet d’enquêtes journalistiques sérieuses de museler la presse à moindre coût et sans cause réelle au prétexte que ces dernières ne plaisent. » explique Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières (RSF). En effet, le coût d’une procédure judiciaire est élevé et les journalistes savent que dans tous les cas ils n’en seront pas dédommagés, même si la justice ne donne pas suite. Les lois sur la diffamation et sur les crimes informatiques dissuadent les journalistes d’investigation d’effectuer leur travail.

Le métier s’avère davantage risqué lorsque l’enquête porte sur des sujets sensibles tels que la défense des droits humains, les questions environnementales ou encore, la corruption. Ce n’est pas la première fois qu’un journaliste est poursuivi pour diffamation. Le Britannique Andrew Drummond a dû quitter la Thaïlande en 2015 suite à son investigation sur les liens entretenus par la police thaïlandaise avec le haut-banditisme. Le journaliste australien Alan Morisson, lui, a été contraint de fermer son site d’information après avoir dénoncé l’implication de la marine thaïlandaise dans un trafic de réfugiés. Par ailleurs, deux journalistes du quotidien thaïlandais anglophone Matichon ont été tués en 2008 pour avoir enquêté sur la corruption des administrations locales.

En mars 2015, le leader de la junte au pouvoir, Prayut Chan-o-cha, a menacé de mort les journalistes qui ne soutiendraient pas la ligne officielle du gouvernement. Il a en effet annoncé qu’il les exécuterait « probablement » s’ils « ne rapportent pas la vérité ».  La Thaïlande occupe la 136e place sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse publié en 2016 par RSF.

 

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Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.