Guillaume Deneufbourg : « nous avons créé DaarDaar pour montrer aux francophones que les Flamands ne les détestent pas »

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En Belgique, le clivage linguistique entre néerlandophones et francophone est tel que le pays ne possède pas de médias nationaux transversaux. Dans ce paysage médiatique, le pure player DaarDaar, lancé en 2015, essaye de « jeter des ponts » entre les deux communautés en traduisant en français des articles de la presse flamande. Guillaume Deneufbourg est l’un des quatre membres fondateurs de ce média : traducteur spécialisé dans la presse, il s’occupe de la gestion des traductions pour DaarDaar. Il nous explique pourquoi il est nécessaire d’avoir accès à l’information vue de l’autre côté de la frontière linguistique.

Les deux principales communautés linguistiques belges ne partagent aucun média. Quelles conséquences peuvent être les conséquences de ce constat ?

Guillaume Deneufbourg : Ça conduit à de l’incompréhension et à l’émergence de toute une série de généralisations et de malentendus entre les deux communautés. À partir du moment où vous n’avez pas de médias qui couvrent l’ensemble de sujets du pays en deux langues, et bien forcément il y a une méconnaissance. Quand on est coupé d’une partie de l’information et d’une communauté, ça peut conduire à des tensions. Ce qui est intéressant, c’est que les francophones partent souvent du principe que tous les Flamands sont indépendantistes, et qu’ils détestent les francophones. Alors que ce n’est pas le cas. Ce sont des généralisations abusives qui sont faites par la presse francophone. Nous voulons montrer qu’il y a de grands éditorialistes qui sont pour les grèves ou le recours aux deux langues, et qui défendent des positions dont les francophones sont convaincus que ce sont uniquement les leurs.

Justement, dans ce contexte, quel est le positionnement de DaarDaar ?

GD : Nous avons créé DaarDaar pour essayer de jeter des ponts entre les deux communautés, pour montrer aux francophones que les Flamands ne les détestent pas tous, et qu’ils ont souvent plus de choses en commun qu’on ne l’imagine. Nous sommes partis du constat que la partie francophone du pays était très peu en contact avec l’actualité politique, culturelle et sociétale de Flandre. Très peu d’informations étaient relayées par la presse francophone. Il y avait donc une nécessité de publier la presse flamande en français afin que le lectorat francophone puisse avoir accès à cette information. Nous avons donc décidé de traduire principalement des éditoriaux d’opinion, car c’était surtout ces articles-là qui manquaient. Ça a été assez difficile à mettre parce que la presse écrite est très frileuse par rapport aux pure players, qui sont considérés comme une nouvelle forme de concurrence. Il a donc été très difficile d’obtenir l’accord des quotidiens flamands pour traduire leurs articles. Il a fallu revenir à la charge plusieurs fois pour obtenir la permission d’acheter les droits d’auteur. D’ailleurs, la plus grande partie du budget de DaarDaar est consacrée à l’achat de ces droits.

Avec quels journaux flamands travaillez-vous ?

GD : Il y a deux catégories de sources : les grands quotidiens comme Het Laatste Nieuws, De Standaard ou De Morgen. Et ensuite il y a les ressources gratuites en ligne comme MO ou De Doorbraak. Bien sûr, à chaque fois on cite la source et on donne le contexte pour vraiment apporter un maximum d’informations aux lecteurs et éviter toute forme de généralisation.

À propos de la ligne éditoriale, comment sélectionnez-vous les articles ?

GD : Avant tout, on cherche à savoir si l’information a déjà été traitée dans la sphère francophone, et si c’est le cas, on se demande si elle a une valeur ajoutée. Il faut que l’article apporte une nouvelle approche qui pourrait intéresser le lecteur. Un exemple un peu caricatural : quand il y a eu des grèves après la mise en place du nouveau gouvernement, les Wallons ont fait grève. Ils pensent toujours que les Flamands les voient comme des fainéants qui ne veulent pas travailler. Alors si on a un éditorial flamand qui défend la cause des grévistes francophones, et bien ça apporte clairement quelque chose de nouveau. C’est Joyce Azar, notre éditorialiste en chef, qui s’occupe du choix des articles. Une fois que l’article est sélectionné, elle me l’envoie et c’est moi qui choisis le traducteur en fonction de son domaine de prédilection.

Sur le site, on peut voir qu’il y a aussi un travail de recontextualisation des articles. Pourquoi ?

GD : Effectivement, il y a toujours une petite case « contexte » qui est prévue sur la page. On ne l’utilise pas systématiquement quand l’article parle de lui-même. Mais quand on estime que le lecteur francophone risque d’avoir des difficultés à comprendre les tenants et aboutissants d’un article d’opinion, alors on prend la peine de rappeler le contexte. C’est généralement la personne qui publie les articles qui rédige cette case. À ce niveau-là, on met tous la main à la pâte.

Quels retours avez-vous eus de la part des médias néerlandophones et francophones ?

GD : Pas beaucoup du côté flamand. Parfois les journalistes que nous traduisons nous retweetent, mais il y a assez peu de contacts avec eux. Du côté francophone, on a été généralement bien accueillis. Il arrive même que des médias reprennent le contenu de nos articles en tant que source.

 

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.