Molenbeek : quand la fiction dépasse la réalité (2/2)

Capture d’écran du site de la chaîne TV France 24.

Le mois dernier, j’exprimais mon indignation par rapport au traitement de Molenbeek-Saint-Jean dans la presse française, et du décalage qui se faisait jour entre celui-ci et la réalité. Je témoignais ma peur, mon appréhension à l’idée de passer par la commune, et constatais avec aigreur que l’on m’avait menti. Plus tard, au détour d’une conversation avec des journalistes de L’Écho, où j’effectue mon stage depuis février, j’ai constaté que les Belges partagent mon indignation face à cette déformation de la vérité. L’occasion de reprendre ma plume pour conclure ce diptyque.

Depuis les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, la France n’a qu’une ville en tête et qu’un mot à la bouche : Molenbeek. Considérée capitale de la terreur depuis que l’on sait que les terroristes à l’origine du massacre s’y réfugiaient, la commune a connu des jours difficiles et a été massivement pointée du doigt dans la presse et à la télévision. Un phénomène qui, bien qu’il dépasse largement les frontières de la France, a été particulièrement intense au cours des derniers mois dans l’Hexagone.

Un Molenbeek-bashing à la française

À la suite des attentats du 13 novembre, c’est le polémiste Éric Zemmour qui lança les hostilités lors d’une chronique lue sur RTL. Visiblement agacé par le manque de contrôles aux frontières, il déclarait : « au lieu de bombarder Raqa, la France devrait bombarder Molenbeek d’où sont venus les commandos du vendredi 13 ». Une phrase perçue par son auteur comme une critique acerbe de la politique européenne, mais ayant signé le début du Molenbeek-bashing à la française.

Le 15 janvier dernier, plusieurs journalistes de RTL et France 3 se rendent sur place pour interroger la famille de Chakib Akrouh, djihadiste s’étant fait exploser le 18 novembre lors de l’assaut du Raid contre un logement de Saint-Denis, où il était retranché avec Abdelhamid Abaaoud. Suite à une violente altercation avec des membres de la famille Akrouh, le journaliste de France 3, Pascal Verdeau, et son caméraman quittent les lieux avec un goût amer. Effaré par une telle violence, il explique à FranceTV Info : « mon sentiment est qu’on était dans une zone de non-droit ».

De telles critiques sont évidemment compréhensibles compte tenu de la violence des faits, mais d’autres entreprises médiatiques et personnalités françaises n’ayant pas bénéficié du même traitement n’ont pourtant que peu nuancé leurs propos, présentant la ville comme l’épicentre de la violence en Europe. En guise d’exemple, un reportage produit pour France 2 datant du 16 novembre, qui a participé à la création de cet imaginaire autour de la commune. Réalisé à chaud et présentant une suite de faits peu flatteurs concernant Molenbeek-Saint-Jean, le reportage s’ouvre sur un discours hostile : « rues pavées, maisons en brique ; la commune de Molenbeek en Belgique ressemble à une petite ville de province, mais est l’une des communes les plus défavorisées de Bruxelles. Avec 28 % de chômage et une communauté musulmane parmi les plus denses du pays, la commune a mauvaise réputation : trafic de drogue, délinquance et islam radical ». Une mauvaise réputation vue depuis (et entretenue par) la France, qui contredit fortement la vision que les locaux ont de cette commune.

La Belgique s’indigne

Alors que la France entière n’a de cesse de lier la commune bruxelloise au terrorisme, la Belgique est en pleine interrogation quant aux raisons pour lesquelles cette analogie réductrice est effectuée. Bien que la plupart des Bruxellois soient au courant du taux de délinquance assez élevé observable dans la commune, la situation ne semble pas les alarmer pour autant. Mieux encore, de nombreux médias et personnalités locales se sont indignés du traitement réservé à Molenbeek dans l’information française, et s’activent pour redorer l’image de la ville, souillée depuis 2015.

Les premiers signes d’indignation observés dans les médias belges ont suivi la réaction de Françoise Schepmans, bourgmestre de Molenbeek-Saint-Jean, aux attaques du philosophe Alain Finkielkraut, qui déclarait sur le plateau de l’émission « Des Paroles et des Actes » que « l’islamisme est majoritaire à Molenbeek ». Dans un article de la RTBF dénonçant le Molenbeek-bashing effectué par les entreprises médiatiques françaises, elle répondait alors : « quant à monsieur Finkielkraut, il ne connaît évidemment pas Molenbeek, comme beaucoup de médias français qui ont ciblé cette commune et ne s’y sont jamais rendus ».

Ce postulat, selon lequel la presse et la télévision françaises se seraient permis de pointer la commune du doigt sans même s’y être rendues, est très ancré en Belgique et m’a été confirmé par Alain Narinx, journaliste pour L’Écho. Au détour d’une banale discussion de bureau, celui-ci admettait qu’il « est très caricatural de parler d’une “zone de non-droit”, car cela n’est tout simplement pas correct. Il y a évidemment des trafics à Molenbeek, mais pas plus qu’à Saint-Denis par exemple. On y retrouve les mêmes types de personnes et les mêmes problématiques ». À propos des médias français et de leur acharnement contre la commune, le journaliste reste néanmoins objectif : « certes, ils ont fort noirci le tableau, beaucoup connaissaient mal le sujet. Mais il y a malgré tout eu de bonnes enquêtes et des vérités, parfois dérangeantes, qui ont été dites ».

Pour l’heure, et alors que les débats sont encore vifs, la commune de Molenbeek-Saint-Jean est confrontée au dur défi de la reconstruction de son image. Après les attentats et la déferlante médiatique qui s’ensuivit, l’ensemble des communes de l’agglomération bruxelloise doivent unir leurs forces dans le but d’inspirer à nouveau confiance.

Pour aller plus loin : « Molenbeek, ce refuge djihadiste », sur La Libre Belgique.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.