Molenbeek : quand la fiction dépasse la réalité (1/2)

Canal de Bruxelles. Image Sophie Fluyt.

Sainctelette, Yzer, Tour et Taxis. Ces noms ne vous parlent certainement pas. C’est normal. Ce sont les noms des arrêts de transports en commun que j’emprunte tous les jours, depuis une semaine, pour me rendre sur les lieux de mon stage, à Bruxelles. Un stage auquel je me prépare depuis longtemps. Pourquoi ? Parce que seul un passage piéton me sépare de la commune de Molenbeek-Saint-Jean.

Lundi, premier jour de stage. Ma présence dans les transports en commun, le fait de devoir longer le canal qui sépare les deux villes pendant dix minutes ; tout se passe dans l’appréhension. On entend souvent le bruit des sirènes de police et d’ambulances, et l’on voit les patrouilles faire leurs tournées régulières. Arrivé devant la porte des entrepôts royaux de Tour et Taxis, au troisième étage desquels trône la rédaction, je me rends compte que la sécurité n’est pas optimale. Entrée libre dans le bâtiment, un badge pour prendre l’ascenseur et ouvrir la porte du groupe… et c’est tout. Une sécurité sommaire, mais qui ne semble pas nécessaire tant tout le monde est détendu. Me voilà quelque peu rassuré.

La peur au ventre

Vendredi matin, on me confie une conférence de presse au nord de Bruxelles. Pour m’y rendre, une journaliste me conseille : « le plus simple est de marcher depuis Tour et Taxis jusqu’à l’arrêt de métro Belgica, en passant par Molenbeek ». Le voilà, le fameux nom que je ne voulais pas entendre. Il est dit, il me fait frémir, il me provoque et me nargue presque. Voyant que je réagis étrangement, on me demande si je connais la commune. Évidemment, je la connais, mais pas de la même façon que les Bruxellois. Je la connais telle que l’on me la dépeint dans la presse et aux journaux télévisés depuis des mois. Capitale européenne du djihadisme, repère de voyous, de malfrats. Je ne peux m’empêcher de calquer ces récits sur le nom de la ville, sans même m’y être encore rendu.

Je pars donc à pied, traverse le fameux passage piéton, et me mets à marcher plus rapidement, la mallette à la main et la peur au ventre. Mais la peur de quoi ? De me retrouver face à des personnes potentiellement dangereuses ? C’est le cas dans toute ville. Et puis, que me ferait-on dans la rue ? Je ne porte, après tout, pas l’étiquette du journaliste en devenir sur le front. Je suis bien conscient que plusieurs journalistes de RTL et France 3 se sont fait agresser deux semaines plus tôt dans ces mêmes rues, qu’ils qualifiaient de « zone de non-droit », mais leur enquête concernait la famille du djihadiste Chakib Akrouh. Moi, je ne suis que de passage. Je tente de me rassurer comme je le peux.

À pied dans Molenbeek

Je passe par une rue délabrée, chose commune à Bruxelles. Beaucoup de mendicité, encore rien de nouveau ici. Quelques chauffards, je suis bien en ville. Mais après ? Rien du tout. Le calme total, et même l’impression de reconnaître les lieux. Traverser le canal qui sépare Bruxelles et Molenbeek me rappelle la jonction entre Paris et Pantin, délimitée par le canal Saint-Martin. Alors, suis-je plus en danger ici qu’ailleurs ? On ne dirait pas.

Après mon reportage, je repasse par Molenbeek. J’emprunte les mêmes rues, toujours aussi calmes, satisfait, le cœur léger. Je pense encore à Paris, ma capitale, mise à sang par une poignée de gens d’ici. Je repense à la déferlante médiatique qui s’ensuivit, et à toutes les images véhiculées dans la presse et à la télévision par rapport à Molenbeek. Je pense aux habitants de la commune, considérés comme des parias pour avoir eu le malheur d’avoir des terroristes pour voisins.

Alors que je marche, j’ai le sentiment d’avoir été dupé, presque trompé, par des médias que j’ai toujours admirés, et qui ont inscrit le nom de cette ville en lettres gothiques dans un imaginaire dantesque. J’ai l’impression que tout a été exagéré, que le sensationnalisme l’a emporté sur la réalité des faits. Pourtant j’y suis passé, j’en ai croisé les habitants, je longe ce fameux canal tous les jours, et la vie ne m’a jamais parue plus normale que lors de cette balade à Molenbeek.

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