Procès Gbagbo : beaucoup d’opinions, peu d’information

 

Le procès de Laurent Gbagbo à la Une des journaux dans les rues d'Abidjan
Le procès en cours à la Haye est à la Une des journaux dans les rues d’Abidjan.

 

Le procès de Laurent Gbagbo et de son ministre de la jeunesse, Charles Blé Goudé, a débuté le 28 janvier à la Cour pénale internationale de La Haye. L’ex-chef d’état ivoirien est accusé de crimes contre l’humanité commis lors de la crise post-électorale qui a embrasé le pays entre novembre 2010 et avril 2011. Les violences entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara avaient coûté la vie à 3 000 personnes, selon l’ONU. 


C’est une période bien sombre de l’histoire de la Côte d’Ivoire qui fait actuellement la Une des journaux locaux. Le procès de Laurent Gbagbo devant la CPI est en première page de tous les quotidiens. Et le sujet est traité de manière bien différente selon les titres de presse.

La Gazette d’Abidjan titre par exemple « La défense se moque des ivoiriens : Les avocats de gbagbo (sic) et Blé Goudé narguent le peuple ». Dans les pages intérieures, le parti pris n’est pas moins clair. On peut par exemple y lire que le procès a pour but la « confirmation des charges contre les prévenus ». À l’inverse, quelques lignes plus tôt, on apprend qu’Alassane Ouattara a « offert une justice aux victimes », et a sorti le pays de cette crise grâce à sa « maestria » et sa « brillante élection ».

Même son de cloche dans les colonnes du Nouveau Réveil : les crimes commis par le camp de Laurent Gbagbo sont énumérés et décrits précisément. Pas une ligne pour évoquer les autres victimes du conflit. D’après le rapport de la Commission d’enquête nationale, sur les 3 248 personnes tuées, 1 452 sont imputées au camp Gbagbo, contre 727 pour le camp Ouattara. Les 1 069 victimes restantes n’ont pas été attribuées à un camp ou un autre, officiellement à cause de problèmes d’identification des victimes. Ce qui laisse penser qu’il est un peu tôt pour glorifier ainsi le camp d’Alassane Ouattara.

Pas de doute possible : la presse d’opinion occupe encore une place importante en Côte d’Ivoire. Certaines personnes expliquent même qu’elle est « beaucoup moins risquée » qu’un journalisme d’investigation, « à condition d’aller dans le sens du pouvoir ».

La presse d’information existe tout de même, la preuve avec Tribune ivoirienne, qui prend du recul sur les considérations partisanes et soulève la question de la légitimité de la CPI, contestée par plusieurs pays africains. L’expression « justice des vainqueurs » est même osée, évoquée comme un risque. Les articles sont moins orientés politiquement, et divers points de vue sont évoqués.

Il existe donc d’un côté une presse d’opinion, très dure, qui n’hésite pas à éluder des passages gênants de l’histoire de cette crise politique, et d’un autre côté une presse plus neutre, qui considère ces évènements avec plus de recul. Deux manières radicalement opposées de pratiquer le journalisme, mais la seconde semble malheureusement moins répandue. Ce procès fera encore couler beaucoup d’encre en Côte d’Ivoire dans les prochains jours, car il reste encore de très nombreuses zones d’ombres à éclaircir.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.