Devoir d’informer et état d’urgence : une cohabitation difficile ?

Indicateur de restriction au public de moins de 18 ans

 

C’est la débâcle au sein du groupe France Télévisions et du gouvernement. Alors que le documentaire Salafistes, réalisé par Lemine Ould Salem et François Margolin, est sorti au cinéma le 27 janvier dernier, la polémique autour de la violence de celui-ci a suscité de vives réactions et relance le débat sur la censure des biens culturels informatifs.

Le documentaire, qui s’immisce dans les rangs du groupe djihadiste Ansar Al Charia, était accusé par la Commission de classification des films de dévoiler des images trop violentes, sans prise de recul. Le jour de sa sortie en salles, Fleur Pellerin annonce au Monde avoir tranché en faveur d’une interdiction du documentaire aux moins de 18 ans – une décision qui a suscité la colère des réalisateurs. Mais ce débat révèle un paradoxe des plus troublants : l’incompatibilité qui se fait jour entre l’effort de lutte contre la radicalisation et la défense du devoir d’informer.

Une « guerre totale » contre la radicalisation

Réservée aux films pornographiques, d’une grande violence ou portant atteinte à la dignité humaine, l’interdiction aux moins de 18 ans est un cas de censure inédit pour un documentaire, mais peu surprenant dans le contexte actuel. Depuis la mise en place de l’état d’urgence en novembre dernier, le gouvernement a fait de la lutte contre la radicalisation sa priorité. « Cette disposition exceptionnelle permet dans un contexte de trouble grave à l’ordre public, à l’autorité administrative (les préfets) de prendre des mesures renforcées pour préserver l’ordre public et prévenir de nouveaux attentats terroristes »., explique le gouvernement sur son site.

Dans ces conditions exceptionnelles peuvent donc être prises des mesures exceptionnelles – comme la restriction de la diffusion d’un documentaire dont la violence pourrait heurter la sensibilité des plus jeunes. Si le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, parlait d’une « guerre totale » lors du Forum international sur la cybercriminalité, Manuel Valls allait plus loin en confiant que la France « pouvait utiliser tous les moyens dont elle dispose » pour lutter contre la radicalisation, lors d’une interview pour la BBC. Mais ces moyens ne contredisent-ils pas la liberté d’expression et le devoir d’informer que l’État défend avec ferveur depuis les attentats de Charlie Hebdo ?

Quid du devoir d’informer ?

Initialement, la loi sur l’état d’urgence du 3 avril 1955 autorisait le ministère de l’Intérieur et les préfets à prendre « toute mesure pour assurer le contrôle de la presse et de la radio ». Cette mesure a été abrogée avec la loi du 20 novembre 2015, mais la nouvelle législation ne prévoit aucune soupape de sécurité pour les moyens d’information « informels », tels que les documentaires réalisés par des journalistes. En tant que biens culturels, les productions informatives ne rentrant pas dans la catégorie « médias » (bien qu’elles soient produites par des journalistes, à l’instar de François Margolin) peuvent donc craindre d’être censurées, ou de se voir imposer des restrictions.

Dans le cas présent, la censure porte sur la question de la sensibilité du public – il ne s’agit en aucun cas de priver la population de l’information concernant la vie dans les camps de djihadistes, mais plutôt de ne pas l’exposer à la violence. Cependant, dans un souci d’authenticité et d’efficacité, c’est sur cette corde que François Margolin entendait tirer : « le projet est de faire entendre la parole de ces salafistes, leur idéologie et comment cela peut mener au terrorisme. Nous avons choisi d’écouter des propos qu’on ne veut pas entendre de la part de ceux qui nous font la guerre et de laisser les spectateurs se faire leur propre idée ». Seuls les majeurs en quête d’information brute pourront en profiter.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.