État d’urgence et opportunisme médiatique

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Capture d’écran du nouveau blog du Monde, « L’observatoire de l’état d’urgence ».

Des terroristes, des morts, de la politique et des mesures exceptionnelles. En bref, du pain béni pour les médias. L’état d’urgence, s’il fait peur, a aussi l’avantage de nourrir les rédactions. Il suscite la suspicion et alimente le débat. L’électrochoc des attentats du 13 novembre à Paris n’est donc pas seulement émotionnel, il est aussi médiatique.

Quand les premiers tirs retentissent, les sites d’information en ligne restent silencieux. Il faudra quelques minutes avant que l’événement modifie la grille des programmes des chaînes d’information en continu. Sur Twitter, par contre, c’est déjà la panique. Témoins, victimes et anonymes s’expriment. Quand certains confient leurs inquiétudes, d’autres s’improvisent journalistes. C’est d’ailleurs le cas du compte @LesNews, qui annonce qu’il y a 7 lieux d’attaques confirmés alors que c’est faux.

Pourtant l’information est retweetée plus de 7 000 fois. La confusion débute, et elle dure. Dans les jours qui suivent, des centaines de comptes diffusent des révélations approximatives, des conclusions hâtives et des alertes inutiles. Exemple frappant : les pétards d’une fête de mariage à Bagnolet se transforment en explosions terroristes. Avec seulement 140 signes à sa disposition, la question des sources passe alors d’essentielle à encombrante. Le réseau social devient le théâtre d’un affrontement entre professionnels de l’information et foule non identifiable. Soudainement, Twitter apparaît dans toute sa splendeur : indiscipliné et versatile, c’est-à-dire insuffisant (mais pas inutile) en cas d’attentats.

Du dédain au regain

Il s’agit presque d’un coup de pub. Car pendant que les internautes déçus et fatigués d’être intoxiqués par des informations erronées s’éloignent du réseau social, plusieurs médias traditionnels partent en croisade à la recherche de la vérité. Aux côtés des institutions, ils tentent de maîtriser le flux d’annonces sur la toile en rappelant ce qui a été confirmé ou non, et ce qui peut être pris au sérieux, ou non. Ce travail rigoureux de vérification des sources, réalisé simultanément avec le déroulement des événements, a donc permis à des rédactions de se positionner en garde-fous. Et surtout, d’apparaître comme légitimes, face à tant de désinformation. En l’espace d’une semaine, Le Monde a ainsi gagné 105 000 abonnés sur Twitter, l’AFP 97 000 et BFMTV 89 000.

Le journal Le Monde a lancé le 23 novembre un nouveau blog, l’« Observatoire de l’état d’urgence ». Une manière d’assurer à ses lecteurs que malgré la situation, des professionnels veillent à surveiller l’action du gouvernement. Le message est très clair : les abus ne passeront pas inaperçus, et la rédaction du Monde vous tiendra au courant. Si la formule peut paraître opportuniste, puisqu’elle s’appuie sur l’inquiétude générale, elle n’en demeure pas moins intéressante.

Soudainement il n’est plus seulement question de remplir un site, mais bien de contribuer efficacement à l’équilibre des pouvoirs. L’objectif est nettement plus noble. Personne ne doit rester dupe, tout le monde doit pouvoir être informé des tractations politiques en cours. La volonté est clairement affichée et ravive le mythe du journaliste-justicier, jusqu’alors réservé à quelques élus chez Médiapart. Le travail journalistique en lui-même prend donc une autre dimension, grâce au regain de confiance des consommateurs vis-à-vis des médias.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.