Vidéo de Casa Nostra : entre manque d’éthique et nécessité d’informer

 

Capture d’écran de la vidéo-surveillance de la pizzeria Casa Nostra, pendant les attentats du 13 novembre 2015, via le Daily Mail
Capture d’écran de la vidéo-surveillance de la pizzeria Casa Nostra, pendant les attentats du 13 novembre 2015, via le Daily Mail.

 

50 000 €, c’est la somme déboursée par des journalistes du Daily Mail pour obtenir une vidéo-surveillance filmant l’intérieur de la pizzeria Casa Nostra, dans le XIe arrondissement de Paris pendant les attentats du 13 novembre dernier. On y voit des djihadistes tirer sur la clientèle. Une affaire pleine de rebondissements qui questionne sur l’éthique journalistique d’une telle pratique.

À l’origine de cette révélation, le journaliste indépendant Djaffer Ait Aoudia. Le 23 novembre dernier, il raconte au « Petit Journal » de Canal +, avoir filmé en caméra cachée la transaction d’argent entre des journalistes du Daily Mail et Dimitri Mohamadi, le patron du restaurant Casa Nostra. Dans la vidéo de Djaffer Ait Aoudia : un échange de liasses de billets de 50 €, pour rassembler les 50 000 € nécessaires à l’obtention de la vidéo. Ce dernier raconte être venu au restaurant ce jour-là pour faire un portrait du propriétaire de la pizzeria pour une chaîne suisse-romande. Une information que démentira par la suite la chaîne, selon l’émission « Le Tube » de Canal +.

Djaffer Ait Aoudia est un journaliste indépendant, ancien collaborateur de France 2, Arte et Médiapart. Capture d’écran de l’émission du 23 novembre 2015, via Le Petit Journal.
Djaffer Ait Aoudia est un journaliste indépendant, ancien collaborateur de France 2, Arte et Médiapart. Capture d’écran de l’émission du 23 novembre 2015, via Le Petit Journal.

L’histoire ne s’arrête pas là. Interrogé par France Info et Nice Matin, le lendemain de ces révélations, le patron de Casa Nostra dément être à l’origine de la transaction. « Je n’ai pas touché un sou de cet argent-là », affirme-t-il. Ce serait, selon lui, « un cousin éloigné » qui aurait négocié la vente de la vidéo. Il accuse également le journaliste Djaffer Ait Aoudia de l’avoir incité à vendre les images des attentats. Il aurait même selon lui été un des premiers à tenter d’acheter la vidéo. Une information confirmée par « Le Tube » de Canal +, qui s’est procuré quatre heures de vidéo du déroulement de la transaction. Ces images prouvent que le gérant du restaurant disait vrai : ce n’est pas lui qui a négocié les images de la vidéo- surveillance. La question reste de savoir quel était l’intérêt pour Djaffer Ait Aoudia d’accuser le propriétaire de la pizzeria et de l’inciter à vendre la vidéo.

 

Mais, est-il éthique de se procurer une telle vidéo ? En France, c’est plus la somme qui choque que le fait d’acheter des images amateur. Du côté des pays anglo- saxons, il s’agit d’une pratique courante. Et d’ailleurs, le Daily Mail justifie son achat dans un communiqué, dont un extrait est publié sur le site du journal britannique The Guardian :

« Il n’y a rien de controversé à propos de l’achat de cette vidéo par le Daily Mail, la police avait déjà une copie en sa possession. Elle a été obtenue après une négociation féroce entre plusieurs médias français et internationaux dans une perspective d’information […] La publication de la vidéo sur le site, ainsi que des photos dans le journal, était dans l’intérêt du public. Les images ont depuis été diffusées à la télévision, sur Internet et dans la presse en France et dans le monde entier. »

Le questionnement est d’autant plus légitime que le site du Daily Mail est spécialiste du buzz. Récemment, une image de Hasna Aït Boulhacen, cousine d’Abdelhamid Abaaoud, un des organisateurs présumés des attentats de Paris, a fait polémique. On la voit sur la photo prenant tranquillement un bain. Le Daily Mail présente néanmoins ses excuses, lorsque l’on s’aperçoit qu’il s’agit en fait de Nabila, une jeune Marocaine… Bref, une histoire qui nous fait retenir au moins une chose : entre nécessité d’informer et course au sensationnalisme, il n’y a qu’un pas.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.