Nouvelle stratégie de communication du gouvernement québécois : le silence

Mauvaise nouvelle pour les journalistes québécois. Le premier ministre de la province, Philippe Couillard, a annoncé une nouvelle consigne valable pour tous ses ministres : le silence.

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La scène est routinière, presque sans intérêt. Nous sommes dans les couloirs de l’Assemblée Nationale du Québec, juste avant le caucus libéral. Les journalistes sont présents, questions en tête, attendant l’arrêt d’un ministre pour réagir, ou non d’ailleurs, sur un sujet d’actualité… Jusque là rien de surprenant.

Et pourtant, ce jeudi 19 février, un membre du gouvernement passe et ne s’arrête pas. Les questions fusent, mais sont ignorées. La nouvelle vient de tomber, Philippe Couillard instaure une nouvelle consigne pour tout son personnel politique. Dorénavant, plus personne ne répond aux journalistes tant qu’une stratégie de communication n’a pas été dictée et approuvée par le Premier ministre.

Un contexte

Au Québec, on a pourtant du mal à s’étonner d’une telle nouvelle au regard du contexte particulier. En effet, à peine quelques jours avant la sortie du Premier ministre, le gouvernement s’était retrouvé au cœur d’une polémique qui portait sur… la communication.

Yves Bolduc, le ministre de l’éducation — qui a démissionné depuis — avait fait les manchettes : à propos des fouilles à nu dans les écoles, il assure que le procédé est légal et acceptable si fait dans les bonnes conditions. Mais à peine un jour plus tard, revirement complet lorsque le Premier ministre en personne annonce le contraire et affirme qu’il n’y aura plus de fouilles à nu dans les écoles québécoises.

La presse se repaît et souligne largement les couacs communicationnels du gouvernement québécois. La nouvelle consigne a-t-elle un lien direct avec cet imbroglio ? Au vu du contexte, peu de doutes sont permis. Pourtant, Philippe Couillard nie une quelconque relation : « il n’y a aucun lien sinon le fait qu’on veut que le message gouvernemental soit informé sur les faits ».

Message contrôlé, message informé

Et c’est ce qu’il semble être le principal objectif de cette consigne : accorder les violons de toute l’équipe ministérielle avant la prise de parole face aux journalistes.

« Il y a beaucoup de choses à faire pour les ministres quand ils arrivent le matin à leur bureau, on veut s’assurer que tout le monde s’entend sur les faits, qu’on ait les faits réels avant de faire les commentaires. Il est normal que les gens comprennent les faits, connaissent les faits avant de répondre à des questions sur des sujets d’actualité. Je pense que c’est le minimum requis. »

Philippe Couillard

Les journalistes devront attendre la fin de ce fameux caucus pour pouvoir s’adresser aux ministres. Terminé les réponses spontanées. Si les journalistes veulent une réaction à chaud sur l’actualité, ils devront automatiquement passer par les attachés de presse des ministres. Le Premier ministre a tout de même tenu à rassurer les journalistes en affirmant que le personnel gouvernemental resterait disponible, notamment pour les journalistes.

Une bruyante consigne

Disponible ou non, les réactions ne se sont pas faites attendre. Les journalistes d’abord, certainement les premiers concernés par une telle consigne. La Fédération Professionnelle des Journalistes du Québec en tête.

« Refuser de répondre aux questions des journalistes est une tactique d’obstruction qui compromet l’accessibilité du public à l’information. Le renvoi aux porte-parole, qui s’en tiennent à la version officielle et qui, souvent ne connaissent pas bien les dossiers, en est une autre ».

Communiqué diffusé par la FPJQ

Et pour les québécois, la question de la transparence gouvernementale est primordiale. Particulièrement ces dernières années, alors que l’impact de la Commission Charbonneau se fait encore ressentir aujourd’hui.

Le Premier Ministre s’est défendu de toute obstruction à l’information, estimant que les québécois n’ont « jamais eu de gouvernement aussi accessible que le notre ». Il a d’ailleurs accusé les journalistes d’excès de susceptibilité sur cette affaire. Réponse cinglante de Lise Millette, présidente de la FPJQ : « les élus sont redevables, ils doivent répondre aux questions des journalistes. Et lorsqu’on les empêche de s’adresser librement à la presse, on a un problème si on se dit une société ouverte et démocratique ».

La FPJQ demande donc au Premier Ministre de retirer cette consigne. La réponse du Premier ministre est simple : le silence.

La Commission Charbonneau

Automne 2011. Les journaux québécois révèlent une grappe d'affaires de collusion et de corruption au sein de l’industrie de la construction québécoise. Et les administrations publiques sont aussi impliquées.  
Face au scandale,  le gouvernement de Jean Charest, Premier Ministre Québécois de l’époque, décide de créer une commission d’enquête. Dirigée par la juge France Charbonneau, la commission va mettre à jour tout un système de corruption. 
Aujourd’hui encore, le mandat de la Commission a été prolongé, alors que le rapport final était prévu pour octobre 2013. Les séances publiques de la commission et le relai médiatique depuis sa création ont énormément marqué les esprits au Québec.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.