Le Canard Enchaîné contre Mediapart : le bras de fer

Le canard Enchaîné tacle MediapartSi la part du lectorat des abonnés numériques n’a pas encore dépassé celle des abonnés papiers, la majorité des lecteurs en France se concentrent sur internet, et bien souvent, ils ont recours à des applications mobiles pour accéder à l’information. Pourtant, les sites internet dits pure-players dont le statut de « périodique de presse » est reconnu depuis 2009, étaient jusqu’en février taxés à hauteur de 19,6 %. Un débat sur la taxation de la presse numérique remis au goût du jour suite à la publication, début octobre d’un article du Canard Enchaîné intitulé « L’Elysée n’a pas pu bloquer un redressement pour Mediapart ».

Dans les colonnes du palmipède, Hervé Martin montre du doigt l’amitié ancienne portée par Edwy Plenel au chef de l’Etat (contestée par le principal intéressé), avec qui il avait collaboré sur Devoirs de vérité en 2006. Il évoque ensuite les pressions insistantes de l’Elysée pour passer l’éponge sur les dettes fiscales de Mediapart. Mais l’objet de ces querelles ne date pas d’hier. Depuis quatre ans, Bercy reproche à Mediapart de s’être octroyé une taxe de 2,1 %, initialement réservée à la presse papier, au lieu des 19,6 % alors en vigueur.

Mais les lanceurs d’alerte peuvent s’abstenir, non, il ne s’agit pas là d’une « phobie administrative » façon Thévenoud tant décriée par Mediapart, mais bien d’un choix assumé. Dans un billet intitulé « Mediapart, le fisc, et les salauds », le directeur de Mediapart se défend et prône « l’égalité entre presse imprimée et presse numérique ».

Mediapart, le fisc et les salauds

 « Aucun de nos interlocuteurs n’y a trouvé à redire sur le fond, (…) sur le fait que l’administration fiscale, en retard d’une révolution numérique, ne respectait pas l’égalité affirmée depuis la promulgation en 2009, sous notre insistance, d’un statut de la presse en ligne, la reconnaissant comme telle au même titre que la presse papier ».

Depuis le début, Plenel n’en démord pas: « c’est le fisc qui est dans son tort, la TVA de la presse est de droit pour la presse en ligne ».

La taxe à 19,6 % : « une disctinction discriminatoire » pour Aurélie Filippetti

Il faudra attendre le 1er février 2014, pour que le parlement cède à la demande des sites d’informations en ligne : une belle victoire pour le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spill), qui depuis sa création en 2008, encourageait des sites comme Arrêt sur image, Indigo publications, Terra Eco, à défendre ce taux réduit de TVA à 2,1 %, au départ réservé à la presse écrite. Combat légitime, même si à terme, son attribution suscite des questionnements, notamment de la part de Bruxelles, fermement opposée à cette taxe.

Cette position n’est pas non plus celle du ministère des finances qui réclame au site de Mediapart, près de 3 millions d’euros, auxquels s’ajoutent un million de pénalité, et 200 000 euros d’intérêts de retard. Pour expliquer l’acharnement de l’administration fiscale, Mediapart pointe du doigt le calendrier des accusations du ministère des finances, qui l’accuse, un an après les révélations de l’affaire Cahuzac ayant débouché sur la démission de l’ancien ministre du budget. De son côté, le journal satirique rappelle que ce « mini-taux de TVA sur la presse papier avait été institué, en fait, pour compenser les charges liées au papier, à l’impression, et à la distribution ».

Pour l’ancienne ministre de la culture, Aurélie Filippetti, cet écart entre les deux taxes constituait « une disctinction artificielle » équivalant à « une discrimination entre l’article imprimé ou mis en ligne ». Par ce texte, elle entend « renforcer ce qui a fait la force de la presse écrite depuis bientôt quatre siècles ». Pas sûr que les médias de presse écrite voient les choses du même œil, avec la crise profonde qu’ils traversent aujourd’hui. Dans tous les cas, cette disposition a soulevé d’autres interrogations, comme celles des aides attribuées à la presse, « injustement réparties » pour Serge Halimi, le directeur du Monde Diplomatique.

En 2013, Le Monde Diplomatique avait purement et simplement disparu de la liste des 200 titres les plus aidés par l’Etat. Jusqu’en avril 2012, il était impossible de connaître la répartition de l’enveloppe des 400 millions d’euros versée chaque année aux titres de presse. Au final, la liste des titres les plus aidés n’a guère évolué, parmi les 20 titres les plus aidés figurent les plus gros poissons (Le Figaro, Le Monde, Aujourd’hui en France, Ouest France, La Croix, Télérama, Libération, Le Nouvel Observateur). D’autre part, si plusieurs fonds d’aide à la presse en ligne ont vu le jour au cours des dernières années, les aides directes ne sont pas au beau fixe pour les sites d’information en ligne.

— Aurore Cros

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.