Le parcours des « sans-facs »

Malgré le droit à l’éducation prévu par la loi, chaque année près de 9 000 étudiants et néo-bacheliers se retrouvent sans inscription dans aucune formation à la rentrée scolaire.

Dans la nuit du 13 au 14 octobre 2020, une quarantaine d’étudiants occupent l’Université Paris-Nanterre afin d’attirer l’attention sur le sort des « sans-facs », étudiants laissés sans affectation au moment de la rentrée scolaire. Chaque année depuis 2017, date de l’instauration d’une sélection à l’entrée de la licence et du master, environ 9 000 étudiants ou néo-bacheliers se retrouvent ainsi sans inscription. Suite au taux de réussite records du Baccalauréat de 2020, 11,8% des lycéens inscrits sur Parcoursup n’ont pas reçu de proposition de formation. De nombreux néo-bacheliers ont été refusés par manque de place, notamment dans les filières surchargées comme le droit ou la psychologie.

Autre exemple, à Nanterre, 500 recours ont été demandés pour des inscriptions en L1 et en M1. Á la rentrée, seuls 40 avaient obtenu une place. Après constitution d’une liste de dossiers prioritaires acceptant des rétrogradations et des réorientations, 21 personnes restent sans réponse à ce jour.

Le syndicat UNEF-Tacle se mobilise activement contre cette situation avec le slogan « étudier est un droit, pas un privilège ». En effet, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme indique que l’éducation est un « droit fondamental pour tous » ; la Constitution affirme que « la Nation garantit l’égal accès à l’enfant et à l’adulte à l’instruction et à la formation professionnelle ». Mais ces textes ne constituent pas des remparts suffisamment forts contre la loi Orientation Réussite Etudiants, promulguée en mars 2018. Destinée à réduire le taux d’échec en première année, la loi prévoit la mise en place de la plateforme Parcoursup, qui permet désormais à chaque université d’opérer un tri dans les dossiers reçus.

Incompréhension, surprise et sentiment d’échec

Les parcours de ses « sans-facs » sont très différents les uns des autres. La plupart d’entre eux mettent en avant l’incompréhension face aux critères de sélection. Margaux avait obtenu sa licence de psychologie à Lyon : « j’avais de très bonnes notes, de l’expérience, des stages, j’avais postulé dans toute la France ». Même incompréhension pour Chloé, étudiante en droit à Grenoble, dont la sélection s’est opérée entre le M1 et le M2, situation normalement obsolète mais maintenue par dérogation pour certaines facultés : « j’avais validé mon M1 à 15 de moyenne ; j’avais un bon dossier, un bon projet, j’avais été en contact avec la responsable du Master ». Les critères sur lesquels se font la sélection semblent plus ou moins opaques : « j’ai des amies qui ont été admises en Master. Leurs professeurs leurs ont dit qu’avec la crise Covid ils n’avaient pas pu faire passer d’oraux et que les dossiers avaient été pris un peu au hasard ». Autre explication à ces inacceptations : le manque de places. Chloé indique qu’après son refus, elle a contacté le Master afin de savoir pourquoi elle n’avait pas été acceptée. La réponse est radicale : « ils ont reçu 450 candidatures pour 20 places ».

Au sentiment d’incompréhension se couple un sentiment de désespoir : « je le vivais comme un gros échec » nous raconte Margaux. Souvent, la sensation de ne pas être seul aide à surpasser cette frustration : « sur le moment j’étais perdue. Mais en en discutant avec d’autres membres de la promo, j’ai appris que beaucoup de M1 n’ont pas été pris en M2 ». Les sans-facs mettent aussi en cause l’absence de préparation à cette situation : « les profs ne nous ont pas vraiment préparés au fait qu’on puisse se retrouver sans Master » nous dit Margaux. Le désespoir qu’engendre cette situation peut inciter à des recours tragiques : à Montpellier, Mehdi, étudiant en droit refusé en Master avait entamé une grève de la faim ; il a obtenu son affectation après cinq jours.

« Je ne suis même pas sûre d’avoir encore reçu tous mes refus du rectorat ! »

Face à cette situation, des recours légaux existent mais ne sont pas systématiquement efficaces. Un « droit à la poursuite d’étude » a été obtenu en 2018 : les licenciés peuvent saisir le rectorat qui doit ensuite leur proposer des formations en accord avec leur projet. Cette procédure reste très inefficace. « Le rectorat a envoyé mon dossier à des facs mais ce n’est pas sûr qu’elles me prennent, c’est même en pratique très rare. Je ne suis même pas sûre d’avoir encore reçu tous mes refus du rectorat » nous explique Margaux. En plus de son manque d’efficacité, ce recours ne s’applique pas à tous les profils. La sélection se faisant entre la première et la seconde année dans le Master de Chloé, elle n’a ainsi pas pu y recourir. Pas non plus de droit à la poursuite d’étude pour l’inscription en L1 ; à Nanterre, le syndicat UNEF-Tacle se bat depuis de nombreux mois pour inscrire des sans-facs. Malgré les passages en commission pédagogique, la situation évolue très lentement : « on a créé une liste de cas prioritaires tout à fait inscrivable mais cela fait trois mois qu’on attend » martèle Victor Mendez dans une vidéo publiée sur la page Facebook du syndicat.

En l’absence de recours officiel efficace, les sans-facs se résignent à occuper leur année de la meilleure manière possible. Certains choisissent de travailler, Margaux s’est tournée vers un service civique : « je me suis dit « autant gagner de l’argent cette année », je savais que le service civique était très valorisé sur les dossiers et c’est une expérience humaine ». D’autres sont parvenus à obtenir une place dans le Master souhaité par des hasards, comme Chloé : « à la rentrée, je connaissais une personne qui était dans le M2 duquel j’avais été refusée, et elle m’a dit qu’il y restait de la place, j’ai donc saisi ma chance. J’ai contacté le Master et j’ai été acceptée la semaine d’après ».

La condition des sans-facs signe l’échec de la République à fournir une formation à tous ceux qui la souhaite et ont les capacités de la suivre. Face à cette situation, l’une des seules solutions qui n’irait pas dans le sens d’une sélection semble être l’augmentation du nombre de places. Le ministère de l’Éducation entend créer 30 000 nouvelles places d’ici à 2022 dans l’enseignement supérieur.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.