tenues jugées "inadaptées"

Des « tee-shirts de la honte » pour cacher le corps des filles

Le « tee-shirt de la honte » est un haut XXL porté par les élèves qui ont osé braver les interdits de leur établissement en venant avec des tenues jugées « inadéquates ». Mais, depuis septembre, cette pratique fait polémique. En France, elle est alimentée sur les réseaux sociaux avec les hagtags #14septembre et Balancetonbahut.

La polémique sur les « tee-shirts de la honte » ne cesse de faire débat ; tout est parti de Suisse après qu’une mère de famille ai dénoncé « l’humiliation » subie par sa fille, obligée de porter au collège un t-shirt XXL floqué « J’ai une tenue adéquate ». Très majoritairement connu dans les établissements privés catholiques mais également dans certains publics (les témoignages recueillis ici viennent uniquement du privé), plusieurs autres variantes existent comme la blouse blanche, le bleu de travail, l’uniforme ou encore les anciens vêtements de sport oubliés dans les vestiaires. L’objectif reste le même : cacher les corps.

Entre sexisme et hypersexualisation des corps

En France, aucun texte ne fixe des règles communes sur la « tenue correcte » de l’élève. Seules les interdictions de manifester ostensiblement une appartenance religieuse ou de porter le voile existent. Ainsi,
les élèves se heurtent à un premier problème : le règlement intérieur pas toujours explicite. Il laisse dans de nombreux établissements la place à l’appréciation des membres de l’équipe pédagogique. Alors pas facile de
savoir ce qui va être toléré, comme l’explique une ancienne collégienne Saint François les Goélands de Saint Rambert d’Albon « J’ai dû porter la blouse pour une robe au dessus d’un genou en été mais le règlement
stipulait seulement tenues ‘correcte et décente selon les règles du savoir vivre’ ».

Tous les élèves font le même constat : le traitement n’est pas égalitaire. Les filles portent beaucoup plus souvent les « tee-shirts de la honte » que les garçons, d’autant plus si elles sont jugées plus « développées ». Pour certaines le port de cette tenue est assimilé au bonnet d’âne d’antan. « Je ne voulais pas être vulgaire. J’avais mis une jupe qui arrivait au dessus du genou, des collants noirs et un pull. J’ai été convoquée par la
directrice qui m’a demandé ‘tu trouves vraiment que c’est une tenue adéquate pour étudier ?’ », explique Lola, ancienne lycéenne de Saint Pierre à Bourg en Bresse, qui a donc dû mettre un uniforme. Malgré la
honte que plusieurs ont eu à porter cette tenue d’autres l’assument et en rient. C’est même « devenu le jeu de défiance avec le CPE », assume Pauline, lycéenne du Groupe scolaire Sacré Coeur Notre Dame de Privas. Le
plus difficile ce sont les mots des camarades comme le prouve Lola : « des garçons m’ont traité de pute ! ».

Des raisons qui ne convainquent pas

Au lycée la Favorite Sainte Thèrese de Lyon comme au lycée Suger de Vaucresson la cause principale, invoqué par les équipes pédagogiques, serait les garçons. En effet, les hauts trop courts, décolletés ou moulants les déconcentreraient. Marie, 16 ans, scolarisée à la Favorite, s’exaspère : « Ce n’est pas aux filles de recouvrir leurs corps, mais aux garçons d’être éduqués. Dans mon lycée, il n’y a jamais eu de problème à cause d’eux ! La directrice se fait des films ! ». Pauline a dû se couvrir avec le « tee-shirt de la honte » un jour chaud de juin où elle avait voulu porter un haut sans manche. L’établissement a accumulé les arguments pour lui montrer son tort : « Quand on est une fille bien élevée on ne dévoile pas son corps », « Les sœurs sont en chemise toute l’année et elles ne se plaignent pas »… Mais pour d’autres tout reste très flou. Une ancienne lycéenne de Saint Denis de
Lyon s’énerve : « Ils ne faisaient pas en sorte d’expliquer pourquoi il ne fallait pas s’habiller trop court ils se contentaient de te dévisager ! »

Catherine Rime, enseignante-chercheuse interroge la représentation des adultes travaillant dans des établissements suisses et la notion de « décence ». Son enquête souligne que ce sont en effet les filles qui sont le plus touchées par ce genre de mesures. Environ 35% des critères cités visent uniquement des tenues dites “féminines”, contre 9% pour les tenues dites “masculines”. Selon elle, « Il serait nécessaire de mener un projet pédagogique avec les élèves autour de la question des codes vestimentaires et de la décence ; et d’inclure un plus grand nombre de modèles féminins, afin que les filles aient d’autres schémas de réussite que ceux qui reposent sur la plastique des femmes ».

Ces témoignages ci-dessus font écho au sondage controversé de Marianne et l’Ifop qui s’appuyait sur des dessins représentant une lycéenne à la poitrine généreuse et découverte. De vives réactions ont éclaté suite à la sexualisation du corps des enfants et jeunes filles. Alors comme certains le préconisent depuis des années la solution ne serait-elle pas le port de l’uniforme ?

*Les prénoms ont été modifiés.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.