Netflix le géant du streaming : est-il vraiment une menace pour le cinéma ?

Le succès des services de vidéo à la demande par abonnement continue à inquiéter les professionnels du monde du cinéma. Cependant c’est l’industrie de la télévision qui se voit la plus touchée.

Le 27 novembre 2019, The Irishman, le nouveau film du réalisateur américain Martin Scorsese, est sorti sur Netflix. Avant d’être disponible sur la plateforme de streaming, le film a été présenté dans quelques festivals de cinéma notamment le New York Film Festival et le Festival Lumière à Lyon. Aux Etats-Unis The Irishman est resté trois semaines en salles. Netflix a accepté la diffusion limitée pour deux raisons: d’abord parce que Martin Scorsese l’a demandé et ensuite parce qu’une diffusion d’au moins trois semaines dans un cinéma grand public le rend éligible pour les Oscars. 

En France, le film n’a pas eu de sortie en salle. En effet, Netflix a refusé d’appliquer la chronologie des médias français qui impose un temps de 36 mois entre la sortie en salle et celle sur les services de streaming. 

L’essor des services de vidéo à la demande par abonnement (VàDA) pose de nouveaux enjeux pour le monde du spectacle. Des tensions émergent entre ces plateformes et les différents acteurs du cinéma traditionnel.  

En 2018, le festival de Cannes a décidé qu’un film doit être diffusé en salle pour pouvoir concourir. Cependant, après le succès du film d’Alfonso Cuarón, Roma, le festival a dû repenser la place des films de plateformes streaming dans le festival. Des négociations sont en cours mais rien n’est encore définitif et les tensions sont toujours d’actualité. 

D’un point de vue artistique, la critique principale défend que l’expérience cinématographique ne s’achève pleinement qu’au sein de la salle de cinéma. Un film sorti directement sur un service VàDA ne serait qu’un “film de télévision”, terme à visée souvent péjorative. Mais pouvons-nous vraiment retirer une part de crédit artistique aux productions lorsque nous avons des réalisateurs de grande renommée tels que Martin Scorsese, Alfonso Cuarón, Bong Joon-Ho, Ava Duvernay qui diffusent leurs films sur ces plateformes? 

Nombreux sont les réalisateurs qui se tournent vers Netflix après que de grandes sociétés de production cinématographique aient rejeté leur projet. En effet, ces sociétés octroient une priorité aux films « blockbusters » pensés pour plaire à un public de masse et impliquant un risque d’échec mineur.

 « Les franchises de films sont maintenant ton principal choix si tu veux regarder quelque chose sur le grand écran. Il y a moins de cinémas indépendants que jamais. L’équation s’est renversée et le streaming est devenu le principal système de distribution » écrit Martin Scorsese dans une tribune publiée dans le New York Times suite à ses commentaires sur les films Marvel. Si ces réalisateurs font ses films en partenariat avec Netflix, cela est dû au fait que la plateforme leur fourni les dispositifs économiques et matériels ainsi qu’une liberté artistique. 

Thiérry Frémaux, co-fondateur du Festival Lumière et délégué général du Festival de Cannes partage ses préoccupations : “Les exploitants de salles  de cinéma françaises ont raison de se sentir fragilisés par ce nouveau monde qui vient, je les comprends d’autant plus que je suis moi-même exploitant à Lyon et conscient qu’il faut protéger la salle”.

Au final, comment ce phénomène se traduit-il en chiffres statistiques ? En France, la fréquentation des salles de cinéma a augmenté de 6 % en 2019. A Lyon, la fréquentation des multiplexes reste stable et les cinémas d’art et essai connaissent une plus forte progression. Les Cinémas Lumières ont connu une augmentation de 20% et le cinéma indépendant Comedia une hausse de 9%. De plus, une étude menée par  le groupe de Quantitative Economics and Statistics a conclu que les personnes les plus adeptes du cinéma sont celles qui consomment davantage de contenus sur Netflix, ce qui atteste d’une complémentarité entre les deux médiums. Netflix n’est donc pas en train d’évincer le cinéma. L’industrie la plus largement touchée par les services de streaming est celle de la télévision. 

En effet, tout comme la télévision, les plateformes de VàDA sont destinées au divertissement à domicile, ce qui implique une concurrence directe avec le média traditionnel. Canal Plus a connu une perte de 99 000 abonnés dans la première moitié de 2019 alors que les abonnés à Netflix n’ont pas cessé d’augmenter.  

Avec un catalogue composé de séries, de documentaires et de films, et un choix laissé au spectateur sur sa manière de consommer, Netflix a forcé les chaînes de télévisions à reconstruire leur modèle. En France, TF1, M6 ainsi que France Télévisions ont l’intention de lancer une plateforme sous le nom de Salto dans le but de concurrencer les plateformes américaines. 

Les services de vidéo en ligne augmentent de manière exponentielle. Rien qu’aux Etats-Unis, nous en décomptons 235. “Les services de streaming démocratisent le contenu. Une seule plateforme peut avoir une offre très vaste. Cependant, avec la montée des services de streaming on commence à voir une restriction du contenu” partage Maia Otero, critique cinématographique pour la plateforme de films d’art et essai MUBI. Son propos peut être illustré grâce au cas de DisneyPlus. La naissance de celle-ci a contraint Netflix à retirer tous les films Disney, Marvel, Star Wars ou de la Century Fox. Le contenu se répartit progressivement au sein de plusieurs plateformes. Ce faisant, l’unique moyen d’en profiter est de souscrire à plusieurs abonnements. Cette idée va à l’encontre du concept original des plateformes de streaming et tend à éloigner les consommateurs.

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Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.