Roman Polanksi / Loic Venance / AFP

Le viol n’est pas du cinéma

L’accusation de viol d’une ancienne actrice à l’encontre du réalisateur Roman Polanski refait surgir un sujet épineux. A l’ère de #metoo, le monde du cinéma est en pleine réflexion.

« Il me frappa, roua de coups (…) puis me viola en me faisant subir toutes les vicissitudes. Je venais d’avoir 18 ans. Je crus mourir ». L’entretien accordé par l’actrice et photographe Valentine Monnier au Parisien glace le sang. Les faits remontent à 1975, lorsque Roman Polanski, réalisateur mondialement connu et reconnu, violente la jeune actrice. Jusqu’ici, elle avait gardé le silence mais la sortie du nouveau film du cinéaste, J’accuse le 13 novembre dernier change la donne. Le film traite de l’affaire Dreyfus, une des plus grandes erreurs judiciaires françaises à laquelle le réalisateur s’identifie : « Polanski lui-même se transpose à répétition dans ce film qu’il essaie de monter depuis des années, rapprochant son affaire de celle de Dreyfus, poussant la comparaison jusqu’à se poser en victime du même acharnement mensonger des tribunaux et des médias ! », déplore-t-elle dans les colonnes du Parisien. La sortie de ce film met mal à l’aise, tant du côté des professionnels du cinéma que des spectateurs et cinéphiles avertis.

Séparer l’homme de l’artiste

La question que beaucoup se posent est la suivante : faut-il aller voir le nouveau film de Roman Polanski ? Eminent cinéaste, respecté tant par ses pairs que par le public. « On n’a pas à censurer l’œuvre. Mais on n’a pas non plus à célébrer les hommes accusés d’agressions sexuelles. Cela participe à la culture du viol » explique la chercheuse et enseignante Iris Brey, dans le cadre d’une rencontre organisée avant la projection du film au festival de La Roche-sur-Yon. Alors que certains cherchent à mesurer leurs avis positifs concernant un artiste à la réputation houleuse, à la Mostra de Venise, les accusations n’ont pas de répercutions. J’accuse a reçu le Grand Prix du Jury à la 79ème édition du festival en septembre dernier.

Une baguette extraordinaire

Il semblerait donc que l’homme en tant qu’artiste bénéficie d’un traitement de faveur, car il produit de l’art, contrairement au commun des mortels. Et le monde du cinéma commence difficilement à en prendre conscience. En 2017 déjà, lors de la 29ème nuit des Molières, l’humoriste et comédienne Blanche Gardin provoque un tollé et questionne l’immunité des artistes intouchables : « C’est bizarre d’ailleurs que cette indulgence ne s’applique qu’aux artistes. Parce qu’on ne dit pas, par exemple, d’un boulanger : ‘Oui, d’accord, c’est vrai, il viole un peu des gosses dans le fournil, mais bon il fait une baguette extraordinaire’. »

#Metoo

Les choses changent et les voix s’élèvent, à commencer par celles des victimes. Dans une enquête publiée début novembre par Mediapart, l’actrice Adèle Haenel, bénéficiant d’une notoriété solide, accuse publiquement l’emprise que le réalisateur Christophe Ruggia aurait exercé sur elle pendant la préparation et le tournage du film Les Diables : un « harcèlement sexuel permanent » et des « attouchements » répétés, alors qu’elle était âgée de 12 à 15 ans. La prise de parole de l’actrice sur ce qu’elle a vécu n’arrive pas par hasard : « Il faut dire que le monde a changé. (…) Je dois le fait de pouvoir parler à toutes celles qui ont parlé avant, dans le cas des affaires #MeToo, et qui m’ont fait changer de perspective sur ce que j’avais vécu », avance-t-elle, en espérant contribuer à son tour à « libérer d’autres paroles ».  Les mentalités semblent évoluer et le regard moral porté sur les artistes est plus intransigeant que jamais.

Sentiment d’impunité

Le cas Polanski montre que la séparation entre l’homme et l’artiste n’est pas une mince affaire. Pourtant, la vraie problématique reste que le réalisateur se met en scène dans son œuvre comme une victime d’un système médiatique en s’identifiant au colonel Dreyfus et profite de sa notoriété pour approcher les femmes « A chaque fois Polanski utilise son nom, qui il est, sa fonction de réalisateur, son succès pour accéder à ces jeunes femmes » souligne Iris Brey, puis elle interroge : « Quels sont les films qu’on a envie d’entendre aujourd’hui ? ». Le journaliste et critique musical Michka Assayas, dans un entretien accordé à Ouest-France, questionne quant à lui le sentiment d’impunité lié au succès – et la morale qu’on leur accorde : « Il y a une demande de vertu, y compris pour les artistes. Mais ils ne sont pas moralement supérieurs aux autres. Le succès leur donne parfois un sentiment d’impunité. »

J’accuse, sorti le 13 novembre dernier, aura définitivement fait revenir les accusations contre son réalisateur dans l’actualité. Il fait toujours l’objet de poursuites aux Etats-Unis pour le viol d’une mineure en 1977, deux ans après celui de Valentine Monnier.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.