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L’accès aux soins psychiatriques une épreuve de plus pour les sans-papiers

Alors que la prise en charge psychiatrique des sans-papiers se durcit, des médecins du public et du libéral s’organisent pour permettre aux personnes dans le besoin de recevoir des soins.  

La psychiatre Maire Rajalbat est formelle. L’insécurité administrative fragilise la santé mentale des migrants. Et la situation va empirer « Les situations administratives influent sur la santé mentale des personnes, même si ce n’est pas suffisant pour tout expliquer », déclare-t-elle au cours d’un échange. Cette infirmière psychiatrique et bénévole a notamment publié Les naufragés de l’enfer, Témoignages recueillis sur l’Aquarius en 2017. Ses mots en disent long sur l’accueil des migrants en France et sur les épreuves administratives auxquelles ils sont confrontés. L’aide médicale de l’État (AME) est un dispositif qui permet la prise en charge des frais de santé pour les étrangers en séjour irrégulier. Cette protection maladie ainsi que la protection universelle maladie (PUMa) sont aujourd’hui sujettes à une réforme du gouvernement. La prise en charge psychiatrique est directement concernée par ces réformes.
L’accès aux soins psychiatriques était déjà connu pour sa complexité elle le sera d’autant plus avec les nouveaux décrets proposés par Agnès Buzyn la ministre de la Santé et Édouard Philippe le Premier ministre. Comme l’expliquait aux Inroks Florent Gueguen, président de la Fédération des acteurs de la solidarité, « Toutes ces mesures durcissent l’accès aux soins et à la couverture santé des étrangers. C’est la version hard qui a été choisie par le gouvernement. Les conséquences seront désastreuses. » Ces mesures ont été présentées le 6 novembre à l’Assemblée nationale. Elles ont pour but de diminuer l’afflux de migrants qui, selon les  hypothèses du gouvernement actuel, viendraient en France pour « profiter » de soins. Il est important de savoir que le nombre de bénéficiaires de l’AME au 31 mars 2018 était de 313 293 soit à peu près 0,44% de la population française ou dix personnes par communes. 

Une partie du corps médical en faveur de l’AME 

Le dimanche 22 septembre, une tribune des 805 médecins en faveur de l’Aide Médical d’État a été publiée dans le Journal du Dimanche. Presque deux mois avant que ces mesures ne soient proposées à l’Assemblée nationale, une partie du corps médical avait déjà exprimé son opposition. Aujourd’hui, une pétition réunit plus de 1600 signatures de professionnels de la santé pour s’opposer aux différentes mesures présentées par le gouvernement. En voici un extrait :  « Pourtant fragilisés par des parcours de vie et migratoires difficiles, et la mise en place d’entraves dans l’accès à l’AME, entraînant une très grande complexification administrative. » Une complexité administrative dont Marie Rajablat évoquait les effets sur la santé mentale des individus concernés. 

« Notre système est complexe à appréhender pour nombre de personnes vulnérables »

La pétition a notamment été signée par Marie Ceccaldi-Lépine, psychiatre libérale. Lors d’un entretien, elle est revenue sur les complexités qui entourent son métier notamment sur les difficultés d’accès aux soins psychiatrique pour les sans-papiers. « Les déboutés du droit d’asile qui ont une carte AME ou CMU relèvent en toute légalité des mêmes prises en charge qu’un public français. Les habiletés sociales peuvent néanmoins faire défaut à des immigrants isolés, qui se trouveraient alors en difficulté d’accès aux soins. Notre système est complexe à appréhender pour nombre de personnes vulnérables », explique-t-elle lors d’une interview. De plus, le droit européen impose une prise en charge médicale, notamment pour des troubles mentaux graves. Pour certaines personnes l’assistance médicale s’avère nécessaire. La « limitation aux soins urgents pendant le délai de carence est contraire au droit européen .» La vulnérabilité psychiatrique due au parcours des personnes serait alors accentuée par ce délai de carence imposé par l’État. 

Un devoir de santé public

Les parcours migratoires sont différents pour chaque individu. Néanmoins, la situation dans le pays natal, le trajet et les conditions d’arrivées créent indéniablement des séquelles psychiatriques. « Les sans-papiers que je reçois arrivent dans différents états, on ne peut faire aucune généralité. Certains ont des pathologies organiques sévères, qui ont eu une répercussion sur leur psychisme, d‘autres, des pathologies psychiatriques sévères et anciennes -psychoses, démences, troubles de la personnalité, mais aussi des troubles du stress post-traumatique, ou des stress cumulatifs, pendant des décennies, dans des pays où la vie quotidienne est très rude, soit des violences graves subies comme des kidnappings d’enfant, assassinat d’un proche en sa présence, viol, plaies par balles », confie Marie Ceccaldi-Lépine. Elle rappelle aussi que « L’absence de soins en santé mentale chez des personnes vulnérabilisées peut avoir les conséquences humaines les plus graves; plus souvent le suicide que la violence à l’égard d’autrui d’ailleurs ». À cela elle rajoute  « Nous restons liés par le serment d’Hippocrate et continuerons à soigner gratuitement les personnes sans ressources, mais cela ne peut tenir lieu de politique générale. » D’après le serment d’Hippocrate, un médecin se doit « de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. »

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Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.