Slogan du mouvement tunisien EnaZeda.

Source : baya.tn

#EnaZeda ou le #MeToo tunisien qui libère la parole des femmes

Le #MeToo est enfin arrivé en Tunisie avec #EnaZeda (moi aussi). Le mouvement est né sur Facebook et Twitter à la suite d’un scandale sexuel concernant un élu député tunisien. Le but est de dénoncer le harcèlement sexuel quotidien des femmes à travers la page Facebook “EnaZeda”.

Vendredi 11 octobre, en pleine campagne électorale tunisienne, la photographie du candidat Zouhair Makhlouf (du parti Qalb Tounes) en train de s’exhiber et de harceler sexuellement une lycéenne de 19 ans, circule sur les réseaux sociaux. Cet évènement a entrainé des centaines de femmes a partagé leurs expériences de harcèlement sexuel avec le hashtag #EnaZeda en suivant les traces du mouvement mondial #MeToo.

Selon la lycéenne, qui ignorait l’identité de l’homme, il l’avait suivie en voiture en se masturbant. Pour sa défense devant le juge, le député actuellement en probation, a exprimé qu’il souffrait de diabète et qu’il devait uriner, à tout moment, dans une bouteille.

Elles brisent enfin la “loi du silence”

La page Facebook EnaZeda, où sont publiés des centaines de témoignages chaque jour, est supervisée par l’association “Aswat Nissaa” (La voix des femmes). Elle se bat pour l’égalité de genre dans les politiques publiques. Ce groupe a atteint aujourd’hui 21 650 abonnés et plus de 100 000 publications. Il a pour but de sensibiliser les hommes et les femmes de la gravité du harcèlement sexuel et des violences sexuelles en Tunisie.

Une initiative “spontanée” qui tente de mettre fin au tabou et au silence. A la surprise des organisatrices, ce groupe a révélé non seulement des cas de harcèlement et d’agression sexuelle, mais aussi d’inceste et de pédophilie. Des femmes qui racontent pour la première fois ce qu’elles ont subi pendant l’enfance, même 20 ans après les faits.

Des inconnu.es et des plus connu.es

Compte Twitter de Saida Ounissi

Même des personnalités politiques et publiques ont rejoint le mouvement. Sayida Ounissi, membre du parti islamiste conservateur “Ennahda” et ministre de l’emploi et de la formation professionnelle, avait posté un tweet d’une expérience traumatisante qu’elle avait vécu à 12 ans. L’actrice Asma Thabet accuse le magnat des médias Sami Fehri de l’avoir harcelée alors qu’elle était encore étudiante à l’Institut Supérieur d’Art Dramatique (ISAD).

Plusieurs de ses collaborateurs étaient au courant et m’ont demandé de ne pas en parler sous prétexte que j’étais sous l’influence de l’alcool“, a-t-elle révélé plusieurs jours avant que le présentateur ne soit condamné à une peine de détention provisoire pour une affaire de corruption.

Aujourd’hui, elle vit à New York où elle se sent plus en sécurité : “Pour moi, cela a été une étape très importante dans ma libération, de ne pas me laisser emporter par la tradition qui oblige la victime à garder le silence pour ne pas être impliquée dans un scandale. La société la criminalise et permet aux harceleurs de continuer“, exprime-t-elle dans une interview.

Les réseaux sociaux facilitent le passage du silence à l’expression“, explique le psychologue Abdelwaheb Mahjoub.

De Facebook à la rue

Mercredi 13 octobre a eu lieu la première manifestation du mouvement naissant EnaZeda à Tunis, devant le siège de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Le slogan est clair “le harceleur ne légifère pas”, annoncent-elles. Cette manifestation s’est organisée à l’occasion de la séance inaugurale de la deuxième législature. Un geste pour dénoncer la présence de députés accusés de harcèlement sexuel et en particulier celle de Zouhair Makhlouf. “Il est scandaleux qu’un député accusé de harcèlement sexuel soit aujourd’hui au Parlement pour représenter des Tunisiens“, affirme une des représentantes du mouvement, Nawres Elafi, au collectif Nawaat.

La Tunisie sert d’exemple dans le monde arabe avec son code du statut personnel, mis en place le 13 août 1956 qui interdit le mariage forcé, la polygamie, la répudiation et autorise le divorce aux femmes. Ainsi, à la suite du printemps arabe, une nouvelle constitution a été adoptée en janvier 2014 et l’élaboration de l’article 46 où ” l’État prend les mesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre la femme.”

Depuis 2018, la Tunisie dispose d’une loi qui lutte contre toutes formes de violence faites aux femmes et aux enfants. Elle a d’ailleurs modifié l’âge de la maturité sexuelle de 13 à 18 ans. Elle a également supprimé l’article qui permettait au violeur d’une mineur d’éviter une peine de prison s’il épousait la victime et punissait pour la première fois jusqu’à deux ans de prison et une amende de 1500 euros tout harcèlement sexuel.

Aujourd’hui, le combat n’est pas encore fini. Les militant.e.s proposent des groupes de soutien et des cours d’autodéfense, mais ils défendent avant tout l’importance de l’éducation sexuelle pour lever les tabous et sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge à toutes formes de violences.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.