Les médias au service d’un soft power religieux au Maroc

Influence des médias et importation d’un modèle religieux « plus adaptable au monde et à son évolution » constituent la marque d’une puissance douce marocaine qui contredit les mœurs.

Le récent bouleversement de la scène médiatique arabe marqué par la naissance récente de MBC 5 Maghreb (traduit par Maroc) vient donner des leçons sur la maîtrise de la puissance douce du Maroc. Terme théorisé par l’analyste Joseph Nye, le soft power est la capacité d’un État à imposer un certain mimétisme politique, économique ou culturel aux autres États et qui lui confère du pouvoir.

Pour composer son soft power, le Maroc a misé sur son image. Selon le docteur en science politique et spécialiste des relations internationales Ismail Régragui, pour développer cette puissance douce, « il faut tout un ensemble de ressources et un style politique d’un dirigeant. Le Maroc ne peut pas compter sur des énergies fossiles et militaires. La seule solution est de se tourner vers le tourisme et d’avoir une bonne image ». La croissance économique marocaine tire un grand bénéfice du secteur touristique et compte depuis une trentaine d’années sur son patrimoine culturel afin d’attirer de nombreux touristes. Ce secteur est d’autant plus renforcé à travers sa promotion dans les médias. Entre documentaires et publicités, l’influence des médias se ressent. Le rayonnement de la culture marocaine sur le continent africain dépend notamment des ministères des Affaires étrangères, de la Communication, du Tourisme et des Affaires islamiques, nous rappelle Ismaïl Régragui. Le rôle des médias et de la communication prend tout son sens afin de « renvoyer une image de marque à l’international ».

Déploiement des médias

Les groupes audiovisuels marocains se déploient en Afrique. La récente chaîne arabe MBC5 Maghreb n’est qu’une illustration récente de la lutte d’influence médiatique qui s’exerce au sein du continent africain voire à l’échelle arabe. Le professeur Ismail Régragui évoque le rôle crucial de l’agence de presse MAP (Maghreb Agence Presse) au niveau continental. Ce dernier nous livre l’exemple de la FAAPA (Fédération Atlantique des Agences de Presses Africaines) créée en 2014 et qui se trouve sous la coordination du MAP. D’autant plus que la FAAPA, qui réunit un ensemble d’agences de presse africaines, est présidée par le patron du MAP, Khalil Hachimi Idrissi. A côté de cette agence, nous pouvons nommer la chaîne d’information en continu, Médi1 TV, lancée en 2006 et qui s’est orientée vers le grand Maghreb et l’Afrique francophone depuis 2016. Pour Ismail Régragui, les médias sont le relai de cette stratégie là : « l’action du Maroc en termes de soft power se fait par les canaux diplomatiques officiels et non-officiels comme les ONG et la diaspora marocaine. Puis le relai privilégié auprès des civils, ce sont les médias, que ce soit en interne ou à l’international ». A rappeler que ce soft power a gagné en puissance après le retour du Maroc auprès de l’Union africaine en 2017, ce qui facilite le travail des diplomates et l’installation des médias dans les territoires du continent. Ces médias installés et coordonnés par le Maroc vont avoir pour principal effet la propagation d’un idéal religieux.

Influence médiatico-religieuse

A l’heure où le monde vit sous la terreur de la menace terroriste islamiste, le Maroc a réussi à faire de son modèle religieux une alternative et une puissance pour le royaume chérifien.

Se portant comme le « commandant des croyants », le roi Mohammed VI a ancré le socle de l’école malikite dans les territoires africains sous tensions religieuses. Face à la propagation du wahabisme issu de l’école hanbalite (qui prône le retour aux pratiques les plus traditionnelles) dans les années 1990, le royaume marocain a mis en avant la branche malikite de l’islam, qui se caractérise par son adaptabilité au monde moderne. Touché par les attentats terroristes de mai 2003 à Casablanca, le Maroc a joué sur les thématiques de la sécurité et de la religion, qui peuvent impacter le secteur touristique et son image internationale. Pour ce faire, rien de mieux que de s’armer des médias afin d’insuffler son rite malikite au sein du grand Maghreb et dans le continent. Selon le docteur en science politique, Ismail Régragui, cette stratégie a été perceptible dès 2005 avec la création de la première chaîne marocaine consacrée à la religion, nommée Assadissa (la Sixième). Celle-là est accompagnée par la radio Mohammed VI du Saint-Coran. « Les deux ont été créées pour reprendre la main sur le discours religieux, qui était monopolisé par les chaînes satellitaires arabes, qui vient du Golf et du Levant, et de diffuser à la place un discours officiel », commente-t-il.

Schizophrénie sociale

La puissance douce se traduit par des bienfaits économiques et confère une notoriété au pays qui l’exerce. Stable, le royaume marocain devient ainsi un partenaire visible pour les États occidentaux. Cette visibilité est renforcée par sa situation géographique, qui constitue un « trait d’union entre deux zones » et qui lui permet de bénéficier d’un flux d’investissements réguliers. Cependant, elle s’accompagne par des inconvénients qui touchent essentiellement les pays émergents, dont le Maroc. Cela amène Ismail Régragui à évoquer une schizophrénie sociale. Selon lui, c’est un décalage entre l’image diffusée par le pays et la réalité sociale que vit la population. Par exemple, malgré les efforts du Maroc à imposer un islam modéré en promettant un tourisme de spiritualité, deux touristes suédoises ont été assassinées en décembre 2018 par quatre Marocains se réclamant de Daesh.

Entre « image de marque » et promesse de développement, le pays doit composer avec une réalité sociale au risque de se trouver face à une implosion causée par des fractures sociales, comme ce fut le cas durant le Printemps arabe.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.