Les stories, une nouvelle pratique journalistique boudée par les grands médias belges

Le format des stories, un moyen original de relayer l’information, n’est pas encore très répandu au sein des grands médias belges. Félix Francotte, étudiant en journalisme à l’IHECS (Institut des Hautes Études des Communications Sociales à Bruxelles), nous explique pourquoi et raconte sa passion pour ces nouveaux outils.

Qui es-tu ?

Je m’appelle Félix Francotte, je suis étudiant en 2e année de master à l’IHECS en journalisme et actuellement en stage au journal Le Soir dans le but de développer une stratégie concernant les stories. J’ai 25 ans et je suis passionné des nouveaux outils multimédias et des nouvelles manières de raconter des histoires. J’ai commencé tout ça un peu par hasard… je faisais un reportage et en fait la personne que j’enregistrais était déstabilisée par l’objectif de mon reflex, j’ai eu alors l’idée de prendre le téléphone portable. Depuis, je travaille tout le temps avec cet outil, parce que cela permet très rapidement d’obtenir une relation de proximité avec les gens que je rencontre. Et au fur et à mesure de l’utilisation de ce téléphone, je me suis concentré sur toutes les nouveautés qu’il permettait et naturellement, je suis arrivé vers le format des stories.

Tu as eu une expérience journalistique qui t’a permis de tester pleinement ces nouvelles pratiques, peux-tu nous en parler ?

Pour notre mémoire de fin de cycle de master, mes deux collègues et moi sommes partis un mois en Birmanie pour raconter l’histoire et le sort vécu par les Rohingyas : nous avons créé un projet de A à Z. D’habitude dans le cadre de notre école, on produit des formes très fixes et fermées, souvent c’est un documentaire de 26 minutes pour la TV ou radio. Nous on a vraiment voulu faire un projet de transmédias.

A la base nous voulions mettre l’utilisateur au centre du projet, se demander comment est-ce qu’il consomme l’information et du coup comment nous on doit s’adapter pour présenter le contenu. Nous avons donc envisagé notre projet comme une grande toile : on rentrait par n’importe quelle porte, de telle sorte que tous les contenus étaient autonomes et indépendants. On était présent sur Youtube, Snap, Facebook, et même avec une newsletter ! Nous avons décidé de la créer car on s’est rendu compte qu’il y avait des personnes comme nos grands-parents qui n’avaient pas Facebook et qui étaient très contents de recevoir leur mail mensuel. Et puis enfin on a créé un mook car on s’est rendu compte aussi que les gens aimaient aussi lire ce format.

D’ailleurs notre jury des grands médias belges a conclu notre travail en déclarant : « on a beaucoup à apprendre de vos pratiques ». Ironie du sort, quand on vient ensuite leur proposer de mettre ça en pratique au sein de leur média, il n’y a plus personne et toujours une bonne excuse : « c’est pas la priorité, on n’a pas le budget… ». Et pourtant notre projet de dialogue a bien marché ; pendant les Facebook live les gens étaient très contents qu’on leur réponde par exemple. Et puis aussi c’est important de leur montrer comment on s’organise de manière pratique sur le terrain. Cela apporte à la fois de la transparence et de la proximité. Il y avait le produit fini mais s’ils le voulaient, on pouvait leur expliquer comment on s’y était pris pour en arriver là. C’est une démarche très appréciée d’après les retours qu’on a eus.

16 septembre 2017, Cox’s Bazar jour 1. Ce jour, nous avons été pour la première fois dans un camp non-enregistré de réfugiés, dans la région d’Ukhia, à quelques 40 minutes de Cox’s Bazar. C’est à peine si nous sommes descendus de la voiture que déjà plus de 100 regards se posent sur nous et viennent nous entourer. La chaleur est bien présente et il n’est que 7h30 du matin. Pour ce premier jour, nous sommes un peu livrés à nous même. L’endroit est surpeuplé. Des toits de bâches dessinent le paysage. Certaines tentes sont encore en construction, sous le savoir faire des hommes. Nombre d’entre eux se déplacent d’ailleurs avec de longues tiges de bambous sur les épaules. C’est ce qui leur sert de charpente. Les enfants, quant à eux, sont missionnés pour récolter du bois pour le feu. Et tous déambulent. Les mères, elles, restent discrètes et bien souvent sous les tentes, avec les bébés. Nous devions y passer la journée, mais ça ne sera que 3h30 sur place. Fraîchement arrivés la veille au soir puis levés de bon matin, nous sommes partis peu préparés. Sans eau ni vivres pour recharger les batteries et sous un soleil tapant, nous n’aurions pu tenir jusqu’à 18h. #Bangladesh #Coxsbazar #regufeecamp #rohingyas #muslims #persecuted #journalism #investigation #storytelling #photography

Une publication partagée par ROYINGYAS (@rohingyasproject) le 24 Sept. 2017 à 6 :33 PDT

Pourquoi ça coince au niveau des médias ?

Le seul point où ça coince vraiment pour transposer ça au niveau des médias c’est lié au fait que ce projet a été rendu possible grâce à la personnification. Sur Youtube par exemple, les contenus sont personnifiés : quelqu’un se filme et donc devient un « Youtuber ». Et pour faire tout ce qu’on a fait, il faut savoir se filmer, se mettre en scène et ça c’est un gap que les grands médias ne sont pas vraiment prêts à franchir car ce n’est pas nécessairement dans leur ADN. Le média d’information n’est pas du tout personnifié : tu lis Le Soir parce que c’est “Le Soir” et pas pour un journaliste en particulier. Sauf que nous c’était l’inverse : les gens qui allaient voir notre projet c’est aussi pour suivre nos aventures en quelque sorte. Après on essaye d’implanter ça dans les rédactions sans devenir des “youtuber” donc sans devoir vraiment se mettre en scène : c’est le début de ce que je fais au journal Le Soir avec les stories.

Qu’est-ce qui te motive dans ces innovations que tu souhaiterais apporter aux médias ?

Moi ce qui m’intéresse c’est tout d’abord le fait de dialoguer avec une audience, mais pas n’importe laquelle. Si tu veux dialoguer avec des utilisateurs sur une plateforme, tu dois respecter ses codes. Ce dialogue est nouveau sur les réseaux sociaux et a la particularité de reposer sur un sentiment de proximité qui est entretenu par de nombreuses choses : la spontanéité, les réponses à des questions etc. Les médias belges ne dialoguent pas particulièrement avec leur audience ou très peu : on ne répond pas aux commentaires Facebook ; on ne fait pas beaucoup de formats interactifs ; on ne demande pas souvent l’avis des lecteurs… En bref, on n’implique pas les lecteurs dans la vie du média. Or pourtant ils sont au centre des préoccupations parce que c’est pour eux qu’on produit l’information.

Après le dialogue, ce qui m’intéresse aussi c’est l’expérience. C’est le stade suivant en fait. Le but de l’expérience, c’est d’emmener l’internaute avec le journaliste sur le terrain. C’est très compliqué aujourd’hui parce qu’on va de moins en moins sur le terrain mais cette démarche n’est pas nouvelle. Des médias comme Vice par exemple la mettent au centre de leur ligne éditoriale : le journaliste raconte ainsi ce qu’il a vécu à la première personne. Moi, mon gros cheval de bataille, c’est cette question : comment est-ce qu’on peut repenser des formes journalistiques en accord avec toutes ces nouvelles pratiques, en lien avec les réseaux sociaux ? La réponse reste liée selon moi à l’expérience et au dialogue avec les lecteurs.

Justement, où est-ce qu’on en est aujourd’hui en Belgique sur ces innovations ?

J’ai l’habitude de dire qu’aux États-Unis ou dans le monde anglo-saxon en général on innove ; en France on a tendance à copier et en Belgique on recopie ce qui a été copié. Je sais pas pourquoi ça ne marche pas chez nous. Le problème de la Belgique c’est que son marché d’audience est très faible et que la moitié de la population parle néerlandais donc dès le départ on n’a pas de budget. Et forcément, quand on n’a pas de budget alors qu’on doit faire face à la crise du numérique, la conséquence directe reste qu’on n’innove pas beaucoup.

Face à ça, le milieu publicitaire est, lui, en avance sur toutes ces questions. Les publicitaires dialoguent à fond avec leur audience et l’expérience utilisateur est bien sûr au cœur de leurs préoccupations. Donc en fait les médias qui s’en sortent le mieux sur ce terrain-là, ce sont les médias qui sont très branchés sur la pub : Lifestyle, Beauté, Elle magazine, Flair… et justement pas les médias généralistes d’information. Dans ceux-là, personne ne fait des stories sauf Paris Match qui reste un cas à part. Et puis après il y a La Libre qui fait des stories grâce aux stagiaires puis maintenant il y a Le Soir qui s’y met. Mais là on parle uniquement des médias francophones parce que je ne connais pas bien les médias néerlandophones.

Quel est le but du dialogue et de la transmission d’expériences ?

Cela sert à raconter une histoire. Dans la presse actuellement, on ne va pas souvent au fond des choses : « 600 000 Rohingyas exilés au Bangladesh ». Certes mais ensuite ? Les faits ne sont pas compréhensibles s’ils ne sont pas contextualisés et racontés. Dans tous les contenus qu’on mettait en place pour notre mémoire, le story-telling était au centre de nos préoccupations. Comment est-ce qu’on informe les gens petit à petit pour qu’ils reviennent pour suivre la suite ? Comment donner du sens à l’information ? Comment garder les gens en haleine ? Pour moi un bon reportage c’est aussi une bonne histoire : cela dépend à la fois du fond et de la forme.

Pour retrouver le projet de Félix sur les Rohingyas, c’est ici.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.