La Révolte du Denver Post

En proie à des difficultés économiques, les propriétaires du Denver Post ont récemment décidé de licencier 30 journalistes. Mais ces derniers ont décidé de se battre pour leur poste, entraînant un conflit rarement vu aux États-Unis.

Le 7 avril dernier, le Denver Post a fait les gros titres aux États-Unis. À la Une de l’édition du jour était inscrit en grand « News matters » (Les informations comptent). Si cette Une a été reprise dans les médias aux quatre coins du pays, c’est parce qu’elle est bien plus qu’une simple couverture : c’est un véritable cri du coeur de la rédaction face à un phénomène qui ressemble tout bonnement à la fin du journalisme local aux États-Unis. 

Le Denver Post est un véritable monument de la presse américaine. Créé il y à 125 ans, le DP, qui couvre une zone de pas moins de 700 000 habitants, s’écoule en semaine à plus ou moins 170 000 exemplaires. De plus, son site internet attire 8,6 millions de visiteurs uniques chaque mois. Pourtant, ce média est pourtant au porte de la crise, et désormais, en guerre contre ses propriétaires. 

Le Denver Post n’est pas le premier titre à entrer en conflit direct avec ses propriétaires. Il y à peu, les journalistes du Los Angeles Times se sont alliés contre le groupe d’investisseurs Tronc. De ces protestations a découlé le vente du journal à un milliardaire du monde pharmaceutique. Malheureusement pour le Post, l’audience et l’attractivité ne sont pas les mêmes que pour leurs collègues californiens. Le titre de Denver a donc décidé de laver son linge sale en public. Dans un édito enflammé, Chuck Plunkett, directeur de la publication du Post demandait la vente de son journal à un propriétaire qui serait prêt à payer pour avoir de la bonne information.

Car c’est là que le conflit réside. Le Denver Post est la propriété du groupe Alden Global Capital depuis 2010, et depuis, le journal est dans une logique capitaliste de base. Les patrons désirent la rentabilité plus que l’information. C’est dans cette logique de rentabilité qu’un grand plan de licenciement a été annoncé en avril dernier. 30 journalistes allaient donc devoir quitter une rédaction qui compte déjà moins d’une centaine de personnes. La rédactrice en chef, Lee Ann Colacioppo déclarait d’ailleurs : « Ces pertes d’emplois sont douloureuses, et nous savons qu’un travail de grand intérêt ne sera pas réalisé car des journalistes talentueux vont devoir quitter l’organisation ». L’annonce de ces licenciement était d’autant plus dure que la rédaction, dans un effort d’économie, a du déménager du coeur de Denver, proche de la mairie à un bureau en banlieue, dans le même immeuble que l’imprimerie. 

C’est donc dans ce climat austère que le staff du Denver Post a décidé de mener une révolte. Les soutiens et les appels à l’aide n’ont pas tardé à se faire entendre : 

Michael Hancock, le maire de Denver a même déclaré : 

Denver est si fier de son journal porte-drapeau pour cette prise de parole. Le Denver Post l’a très bien dit : ils sont nécessaires à la grande expérience démocratique, surtout en ces temps où la presse et les fait sont sous une constante attaque de la part de la Maison Blanche

Malheureusement, cette situation est éprouvante et certains préfèrent jeter l’éponge. Chuck Plunkett savait en écrivant son édito qu’il risquait sa place en s’attaquant aux propriétaire du DP. Mais c’est lui qui à décidé de démissionner le 3 mai. Cette décision vient après le refus d’un superviseur de publier un nouvel édito à l’encontre du groupe Alden. Le principal intéressé a déclaré dans une interview : « Ce qu’il demandait c’est que je reste silencieux. Pour moi, rester assis en silence serait hypocrite […] Nous devons simplement des comptes aux lecteurs et à la vérité. Ne devrions-nous pas nous autoriser à être silencieux a propos d’un truc que nos hommes font et qui serait considéré comme dangereux pour nos communautés ou mauvais pour la démocratie ? »

Malgré cela, le 8 mai, pour appuyer leur révolte et exprimer encore plus leur mécontentement, les journalistes du Post, anciens, actuels ou nouveaux, ont organisé une marche devant les locaux. Pour Lynn Clark, professeur de journalisme à l’Université de Denver, cette manifestation est « très importante » car elle montre comment les intérêts financiers et les intérêts publics entrent parfois en conflit.

Malheureusement, cette logique de rentabilité se démocratise dans les médias américains, et si certains gros titres réussissent à attirer assez de lumière pour entraîner un rachat, pour de nombreux petits journaux, cette tendance leur assure une disparition progressive. Et à terme, c’est le journalisme local dans son ensemble qui va se retrouver en danger Outre-Atlantique.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.