Euronews en attente de changements colossaux

« Les plus grands changements depuis la création de la chaîne » – avec ces mots les journalistes d’Euronews caractérisent le lancement du projet Next. A partir du mi-mai cette chaîne internationale refuse son format traditionnel selon lequel chaque service linguistique diffuse la même vidéo à travers le monde. Nous avons discuté des problèmes et des espoirs d’Euronews et du service russe en particulier avec le chef de cette équipe – Sergueï Doubine.

Le service russe a une très grande audience dans les pays post-soviétiques. D’habitude, on dit que c’est parce qu’Euronews donne les informations plus neutres que les médias russes. À votre avis, quelles sont d’autres raisons de la popularité du service russe? 

Sergueï Doubine: Je voudrais nommer deux raisons de plus. La première est un ton calme. Le ton dans les médias russes est très monté, engagé tandis qu’Euronews parle de la manière tranquille, impartiale même dans les situations révoltantes. La deuxième raison (mais, peut-être, cette raison est plus importante): nous traitons des sujets que les médias russes ne touchent pas – la couverture très détaillée du fonctionnement des institutions européennes et – ce qui est plus proche pour les auditeurs – comment ces décisions influencent la vie du peuple; nous couvrons la politique internationale de la manière détaillée, et, enfin, nous racontons des histoires de gens de tout le monde, aussi sans aucunes allusions et aucuns non-dits.

Mais pourquoi l’actualité européenne est intéressante pour les auditeurs russophones?

SD: C’est une autre vie. Les gens veulent voir ce qui se passent en dehors de leur maison, en dehors de leur pays. Ça ne fait pas toujours plaisir mais c’est intéressant.

Le projet Next sous-entend que chaque service va faire un produit qui sera plus orienté à une audience nationale. Quels sujets peuvent devenir prioritaires pour le service russe? 

SD: Il n’y aura pas de changements immenses de priorités. Euronews reste Euronews. Nous ne pourrons pas rattraper des médias russes, ils ont plus de ressources locales. Mais Euronews n’en a pas besoin. Nous allons porter l’accent sur des sujets qu’au niveau thématique vous ne pourriez pas trouver dans les médias russes et, de plus, nous proposons le point de vue européen sur ce qui se passe en Russie. Et il ne faut pas oublier l’expérience et l’analyse qui sont des côtés fortes de notre chaîne.

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« Au niveau thématique » – qu’est-ce que ça signifie? Allez-vous traiter des sujets qui, selon les médias en Russie, ne sont pas intéressants pour les auditeurs russes comme les manifestations au Venezuela ou les inondations en Iran? Ou des sujets comme la campagne présidentielle du leader d’opposition Alexeï Navalny que les médias russes ne couvrent pour les raisons évidentes?

SD: On va traiter ces deux types de sujets – comme le Venezuela et comme Navalny. Les opinions sur Navalny sont contradictoires mais cette personne attire beaucoup d’intérêt.

Le service russe a été accusé plusieurs fois de la partialité politique – celle pro-Kremlin et anti-Kremlin. Selon vous, la perception du travail de ce service comment changera-t-elle après le lancement de Next quand les équipes linguistiques pourront choisir des sujets pour leurs reportages [aujourd’hui c’est le chef d’édition qui choisit des sujets – M. D.]?

SD: Euronews n’est pas une chaîne engagée, on en a déjà parlé. Ces accusations sont déterminées par la perception du monde de chaque accusant. Si le nombre de reproches “anti” et “pro” est le même, ça signifie que nous travaillons bien. Celui qui cherche la partialité pourra la trouver toujours et partout.

Euronews se positionne comme “most watched news channel in Europe”. Pourquoi, malgré ça, il surmonte une situation financière très compliquée?

SD: News c’est un métier désavantageux. Il exige beaucoup de dépenses et est très mal monétisé, surtout aujourd’hui, quand on peut trouver tout sur Internet. Nous n’avons pas de l’aide financière d’Etat forte comme BBC ou de capital privé comme CNN.

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Le projet Next est une tentative de traverser la crise. Le management pense qu’ainsi on pourra attirer plus d’auditeurs. Mais est-ce que ces changements seront visibles pour les auditeurs? Cette différence est plus évidente si on compare deux services linguistiques ou plus mais les gens regardent d’habitude un seule version. 

SD: Ce qui regardent Euronews depuis longtemps verront les changements même à l’intérieur de notre version. Avant tout, les graphiques sur l’écran seront en russe. On va faire plus de sujets orientés à notre audience. En outre, le site va contenir beaucoup plus de textes qui peuvent être intéressants pour les auditeurs russophones (au moins, en cas idéal).

Parmi les faiblesses d’Euronews on mentionne souvent sa lenteur. Comment peut-on expliquer ça?

SD: Il y a assez d’exemples quand nous avons été plus rapides que nos concurrents. Par exemple, CNN a fait un sujet sur la mort de la plus vielle femme du monde un jour plus tard que nous. Mais je dois reconnaître que, oui, parfois nous sommes lents. Quelles sont des raisons? Il y en a deux: il faut attendre les vidéos de nos partenaires et, de plus, un reportage ne peut être diffusé qu’après le mixage de toutes les 13 versions.

Est-ce qu’on va rendre la chaîne plus rapide après le lancement de Next?

SD: Le service russe était toujours parmi les plus rapides (sans préjudice de la qualité, j’espère). Avec le nouveau système technique nous pourrons diffuser même des sujets communs (les sujets qui sont préparés par tous les services – comme on le fait aujourd’hui) sans attendre d’autres équipes. Alors, notre service aura la possibilité de travailler plus vite.

Selon vous, qu’est-ce qui sera le plus difficile pour les journalistes russes?

SD: Comprendre qu’il ne faut pas chercher à rattraper les médias russes; ne pas perdre la vue globale; ne pas faire chaque nouvelle sur la Russie – il faut se souvenir qu’on nous regarde non seulement en Russie (pour notre service les États-Unis est en TOP-3 selon le nombre d’auditeurs).

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.