Attentats de Bruxelles : le témoignage, une denrée protégée

Capture d'écran du site http://m.voaafrique.com/
Capture d’écran du site de VoA Afrique.

 

Il est 8 h 30 à Bruxelles quand les premières informations sur les attentats apparaissent sur Twitter. A Washington DC, il n’est que 3 h 30, et la majorité des journalistes dorment encore. La rédaction « journée » de VoA Afrique ne pourra se pencher sur le sujet que cinq heures plus tard, en arrivant au bureau. Et pourtant, il faut agir vite pour avoir des témoignages et être le premier sur l’info.

8 h 30 : première conférence de rédaction de la journée. C’est l’après-midi en Europe, et le deuxième attentat à la station Maelbeek a déjà eu lieu. Les journalistes de VoA Afrique sont aux aguets, scrutant le fil AFP pour être au courant des dernières news. Ils essayent aussi — et surtout — d’obtenir des témoignages. C’est que, comme l’expliquait Marie-Christine Lipani-Vaissade dans Les cahiers du journalisme de l’été 2007, « dans les médias, la parole du témoin substitue parfois celle du journaliste. Sa parole est valorisée. Lors d’une catastrophe, les différents supports de presse recherchent aussitôt quelqu’un de présent là où s’est déroulé l’évènement. Le témoignage reste un moyen pour capter l’attention du lecteur. »

C’est encore plus vrai en radio, qui plus est si l’on n’est pas sur les lieux du drame. Comment rendre un récit vivant si ce n’est en donnant la parole à un témoin, quelqu’un qui « a vu » ?  Alors, à Washington DC, la rédaction s’agite. A 6 246 km de la Belgique, les journalistes font jouer leur carnet d’adresses. Il nous faut un eyewitness.

Idriss Fall, journaliste à VoA Afrique depuis plus de 25 ans, a commencé sa carrière à Paris, au milieu des années 1980, et a travaillé deux ans à Bruxelles. Il appelle d’abord plusieurs de ses anciens collègues, pour se renseigner sur la situation dans la capitale belge, puis fait le tour de la rédaction de VoA Afrique à Washington DC, au cas où quelqu’un aurait un contact. « Je ne voulais pas un témoin blanc bruxellois, ça aurait été trop facile. Moi je voulais un témoin africain pour mon auditoire, pour qu’ils se sentent plus concernés. »

Finalement, il apprend qu’une membre de la famille d’un des producteurs de VoA Afrique habite à Bruxelles. Il l’appelle sur-le-champ, et réalise qu’elle a vécu les attentats plus près que quiconque : elle se trouvait dans la rame du métro quand l’explosion a eu lieu. Le témoignage passe dans le journal de midi, puis il est mis en ligne sur le site web comme « brève sonore ». Peu de temps après sa publication sur le net, Idriss Fall reçoit un appel téléphonique depuis la France sur son téléphone portable personnel. Il ne peut pas répondre, mais son interlocuteur laisse un message.

C’est un journaliste de TF1. Il a écouté l’interview sur le site de VoA Afrique, et il lui demande tout simplement de lui transmettre son contact pour faire une interview télé. « Nous on est a plus de 6 000 km et on réussi a trouver un témoin et Paris, c’est à quoi ? Deux heures de Bruxelles ? Et ils nous demandent à nous de les aider ? » Idriss Fall n’en revient pas. « Et puis, comment il a trouvé mon numéro ? Personne n’a mon numéro de portable personnel ! » Il décide de ne pas répondre. Le journaliste lui enverra un mail sur son adresse personnelle, puis réessaiera le lendemain. RTL s’y met également, ce sera ensuite au tour de l’AFP.

« En journalisme, on ne donne pas ses contacts » m’explique Idriss Fall, « ou alors, à des amis, mais pas à quelqu’un comme ça, qui pourrait faire des reportages sur place. » Aujourd’hui j’ai appris que même et surtout en temps de crise, le journaliste n’est pas préteur. Un contact ne se partage pas entre deux rédactions différentes. « Si ils veulent, ils peuvent reprendre l’interview et citer VoA Afrique, mais leur donner le numéro de téléphone de mon témoin.. ah ça jamais ! » dira Idriss Fall pour clore le débat. Aujourd’hui j’ai appris que le journalisme est un métier de contacts, et même, si j’osais… un sport de contact.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.