En stage : « une journée en enfer à Bruxelles »

L’édition spéciale du Soir consacrée aux attentats du 22 mars 2016.
L’édition spéciale du Soir
consacrée aux attentats
du 22 mars 2016.

La peur, l’angoisse, et puis, le chaos. Drôle de journée à la rédaction du Soir. 22 mars 2016. Un jour dont je me souviendrai.

Ce matin-là, ce sont des sirènes de police et de pompiers qui m’ont alerté d’un danger. Plus nombreuses que d’habitude, je les ai entendues passer en bas de chez moi, à Scharbeek, à environ trente minutes en bus de l’aéroport national. J’ai pris mon portable pour vérifier qu’il n’y avait rien de grave. « Double explosion à l’aéroport de Zaventem », ai-je lu sur ma page Facebook. Zaventem… L’aéroport où je m’étais rendu seulement deux jours avant.

J’ai alors allumé la radio — France Info, comme chaque matin. Quelques minutes plus tard, la station passait en édition spéciale pour se consacrer à ce qu’on ne pouvait pas encore qualifier d’attentats. Sans doute quelques blessés, disait-on. Mais il ne fallait pas être un grand devin, pour savoir que cela se transformerait en plusieurs dizaines, voire centaines de morts.

J’ai donc décidé de rejoindre plus tôt que d’habitude la rédaction du Soir, où je me rends tous les matins. Pour être sur le front, pour prévenir les lecteurs le plus rapidement possible. À côté d’une station de métro, des dizaines de gens arrêtés consultaient leur portable et appelaient leurs proches… Et, à mon arrivée à la rédaction, un deuxième choc, celui d’une explosion à Maelbeek, une station de métro à deux pas du Soir. Je ne le savais pas. J’étais dans le bus lorsqu’elle s’est produite.

La rédaction sous tension

Toute la journée, avec bien d’autres journalistes, j’ai animé le direct et le fil info. Le rédacteur en chef nous avait prévenus : « pas de publications d’informations qui ne sont pas confirmées, notamment pour le nombre de morts et de blessés ». Son ton était sec et cassant. La tension était palpable. La plupart des journalistes s’étaient réunis au service web, là où je travaille. Ils parlaient, ou tapaient frénétiquement sur leurs ordinateurs pour transmettre les dernières infos. D’autres encore courraient.

Néanmoins, ce qui ressortait, c’était leur sang-froid. L’habitude, le professionnalisme, ou simplement leur personnalité, je ne sais toujours pas sur quel compte le mettre, mais cela m’a étonné. Un seul dénotait : le rédacteur en chef. « Je veux un Periscope du métro Schuman !!! Qui y va ?! », ordonnait-il. Plus tard, il décidait que la maquette du journal allait changer. La version papier serait entièrement consacrée aux attentats. Deux pages pour le reste de l’actu, à laquelle « certaines personnes devraient se coller ». Compliqué, ai-je pensé, d’avoir le cœur à parler d’autre chose. Une version web gratuite serait publiée pour les lecteurs.

Les ordres du parquet suivis à la lettre

Avec un autre stagiaire, nous nous sommes entraidés toute la journée pour animer le live, éviter les répétitions, avertir les lecteurs des dernières nouvelles. La tâche ne fut pas simple. Difficile de se concentrer après de tels événements. Difficile de sélectionner les infos au milieu de centaines de tweets qui tombent chaque seconde. Difficile de faire vivre un direct quand une dizaine de journalistes publie en même temps.

« C’est un très bon exercice », nous souffle une journaliste, un grand sourire aux lèvres. Elle avait raison. C’est certainement l’exercice le plus formateur qui m’ait été donné de faire depuis le début de mon stage. Nous n’étions certes pas sur le terrain, mais nous essayions de démêler le vrai du faux. L’équipe apprendra dans l’après-midi que le parquet fédéral belge leur a interdit la publication d’informations sur l’avancée de l’enquête. Les journalistes ont respecté cette règle à la lettre, et je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir une forme d’admiration pour cela. Je pensais aux débordements de certains durant les attentats de Charlie Hebdo.

Entre information et manque d’éthique

Au fur à mesure de la journée, les remerciements des internautes pleuvaient. « Merci à l’équipe du Soir pour son professionnalisme, sans jamais entrer dans le sensationnalisme. » Jamais… Ou presque. Quelques heures plus tard, la rédaction publiait une version web gratuite du journal. En Une : une photo de deux victimes des attentats blessées. Polémique assurée, les lecteurs s’en sont plaints, si bien que la rédaction a dû présenter ses excuses et changer sa photo.

Autour de moi, les employés n’étaient pas tous du même avis. « Je ne vois pas ce que cette Une a de choquant », disait l’un. « Moi ça me déplaît pour les proches des victimes », disait l’autre. Le débat me faisait penser à la publication de la photo du petit Aylan, mort échoué sur une plage turque. Quelles sont les limites de l’éthique journalistique ? Doit-on penser aux proches avant d’informer la population ? Le débat fut néanmoins bref, car rattrapé par d’autres préoccupations bien plus prosaïques.

Comment rentrer chez nous ? « Je comprendrais que certains d’entre vous n’aient pas la force de rentrer chez eux, compte tenu des circonstances. Vous pouvez me demander des chèques taxi, ou loger à l’hôtel. Vous pouvez aussi venir chez moi », nous a proposé le rédacteur en chef. « Chez moi aussi », « et moi aussi », « moi aussi », a-t-on alors entendu. Élan de solidarité au milieu de l’horreur. Plus tard, dans la soirée ou la nuit, les lumières de la rédaction ont dû certainement s’éteindre une à une, mais je n’étais pas là pour le voir.

Et ce soir encore, en écrivant ce papier, je pense à la capitale européenne qui a bien voulu m’accueillir pour quatre mois. Et, je ne trouve toujours pas les mots pour décrire ma peine. Bruxelles ma belle, tu as vécu une bien drôle de journée.

« En stage » est une série d’articles plus personnels qu’à l’accoutumée, consacrés à des expériences ou des observations réalisées par les étudiants du Master 1 « Nouvelles pratiques journalistiques » de l’Université Lumière Lyon 2 lors de leur stage obligatoire à l’étranger.

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1 thought on “En stage : « une journée en enfer à Bruxelles »

  1. Super papier journalistique digne d’un professionnel aguerri criant de lucidité et d’observation
    Moi la néophyte j’ai été captivée par le récit de cette journée du début à la fin
    Je vous l’attribue votre Master
    Félicitations
    A vous
    Une lectrice

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Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.