Luxembourg, le pays de la « relecture polie »

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Sur le petit territoire luxembourgeois, les mairies, les cours de justice ou les ministères forment un réseau où toutes les personnalités influentes se connaissent et se côtoient. Qu’un journal déplaise à une seule de ces personnes, et c’est l’ensemble de la sphère politique qui s’en détournera. C’est pourquoi la plupart des rédacteurs en chef préfèrent laisser les interviewés relire les papiers avant publication. Une pratique qui ne semble pourtant pas entamer la liberté de la presse du Grand-Duché.  

D’ordinaire, ce type de pratique est fortement réprouvé par la profession. Arnaud Noblet, journaliste et enseignant à l’Université Lyon 2, l’affirme : « on ne fait jamais relire son article à la personne intéressée. Celle-ci risquerait de revenir sur ses propos. » Et parfois, les personnalités importantes du Luxembourg reviennent sur leurs propos. Le rédacteur en chef d’un magazine local témoigne : « j’ai interviewé un avocat récemment. Il a contesté l’intégralité de mon article. »  Pourtant, il assure que son journal culture, mode et lifestyle « n’a pas vocation à dénoncer quoi que ce soit. »

Dans un pays où la plupart des personnalités politiques peuvent aisément remanier un article avant sa publication, il est difficile de s’imaginer que les journalistes puissent exercer leur métier librement. Pourtant, ils ne semblent pas se préoccuper de la question de la liberté de la presse. Dans son édito du mois de mars, le rédacteur en chef précédemment cité écrit : « je ne m’étais jamais posé la question de la liberté de la presse. (…) Au Grand-Duché, rien à signaler. » En un sens, il n’a pas tort. Bien que son interview ait été contestée, son édito, lui, ne peut subir aucune censure.

Certains estiment que si la relecture n’appose aucune modification majeure à l’article, elle peut être bénéfique. « Je n’étais plus sûr de certains détails. Après avoir relu l’interview, le maire a corrigé quelques dates et quelques noms de lieux. Il n’a touché à rien d’autre », explique Fred*, journaliste. La majeure partie des personnalités politiques évitent en effet de retoucher les papiers soumis à relecture. Ainsi, Rui Monteiro, consul du Portugal au Luxembourg, s’est contenté d’approuver la publication d’une interview dans le magazine Luxuriant, sans le moindre commentaire.

Il est évident que la plupart des politiques se refusent à modifier leurs interviews pour ne pas froisser le principe de liberté de la presse. Même si celui-ci se voit écorné par ces relectures systématiques, les journalistes jouissent tout de même de sa protection sur le territoire du Grand-Duché. Les contestations restent des cas rares. Proposer à l’intéressé de relire son interview constituerait donc bien moins un moyen de soigner sa réputation, qu’une simple marque de politesse progressivement entrée dans les mœurs luxembourgeoises.

* Dans un souci d’anonymat, les noms des personnes ont été changés.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.