Réfugiés en Australie : un traitement médiatique difficile et biaisé

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L’Australie et les réfugiés, carte Idé/Libération.

 

Destination prisée des touristes, l’Australie l’est aussi des migrants, à ceci près qu’elle les accueille moins volontiers. L’île-continent déporte systématiquement les migrants arrivés par bateau dans des camps de rétention sur des îles reculées du Pacifique. Nauru, îlot ruiné reconverti dans la détention de réfugiés, est devenu le symbole de cette politique d’immigration radicale. Peu accessible aux journalistes, il est difficile de savoir ce qu’il s’y passe vraiment. Le traitement médiatique jongle ainsi entre censure et désinformation.

Île microscopique du Pacifique de 21 km carrés, Nauru est méconnue. Pourtant, à l’instar des îles Christmas et de Manus, elle abrite de nombreux migrants dans des centres de rétention, pour le compte de l’Australie. Cette situation découle de la « Solution du Pacifique », politique d’immigration musclée réactivée par l’île-continent en 2012, qui vise à intercepter tous les bateaux de migrants près des côtes et à les déporter dans des camps offshore le temps d’analyser les demandes d’asile. Dans le viseur des Nations-Unies depuis, accusée de bafouer ses obligations en matière de droit international, l’Australie tente de dissimuler l’existence de ses camps en minimisant la présence de journalistes sur place. 

Pour se rendre à Nauru, les journalistes doivent effectuer une demande de visa spécifique, s’élevant normalement à 200 dollars. Mais depuis 2014, la demande est passée à 8 000 dollars, et cela même si le visa est rejeté. Une augmentation faramineuse que le gouvernement de Nauru justifiait par le besoin de « recettes fiscales », sans donner plus de détails. Une initiative qui a découragé de nombreux reporters à se rendre sur l’île.

La situation ne s’est pas améliorée lorsqu’un an plus tard, le ministre de la justice de Nauru, David Adeang, poursuivait plusieurs journalistes australiens pour leur traitement médiatique jugé « dénigrant » pour l’image de Nauru, les accusant — argument imparable — de raviver de vieux clichés de « supériorité raciale ». Beaucoup de journalistes du Guardian Australia avaient été refusés sur l’île.

« Même si les difficultés rencontrées par de nombreux réfugiés sont bien présentes et l’incertitude sur leur avenir bien réelle, Nauru est sécurisée, les migrants sont libres, beaucoup d’entre eux sont heureux et tirent le meilleur de leur situation. La vie à Nauru est assez paisible et de manière générale une bonne entente règne entre locaux et migrants […] Mais cette affirmation ne convient pas aux journalistes activistes. Ils ont besoin de détourner la vérité pour justifier leurs positions politiques et de cacher la qualité médiocre de leur travail journalistique »  avait déclaré le ministre.

Entre activisme et désinformation 

Alors que le gouvernement de Nauru maintient que les conditions de vie des migrants sont bonnes, beaucoup de journalistes se sont appuyés sur des comptes-rendus d’ONG ou de médecins sur place pour affirmer le contraire. Dans deux rapports de 2012 et 2013, Amnesty International comparait les camps de Manus et de Nauru à un « régime carcéral » aux « conditions sordides » : « les camps sont surpeuplés, ne permettent aucune intimité et n’offrent aucune ombre ni protection contre la chaleur tropicale étouffante, l’humidité et les fortes pluies. Les détenus passent plusieurs heures par jour à faire la queue en plein soleil pour obtenir leurs repas […] et manquent d’eau et de soins médicaux. » Après une nouvelle demande pour inspecter le camp de Nauru en mai 2015, l’ONG s’est vue refuser l’accès à l’île.

Du côté du corps médical, une récente étude a démontré qu’un migrant tentait de se suicider tous les 2 jours dans ces centres de rétention, et que la plupart souffraient de troubles mentaux importants, y compris les enfants. « Après plusieurs mois passés dans ces camps, les enfants que j’ai pu diagnostiqué, présentent les troubles psychiques les plus inquiétants que j’ai vus en 50 ans de carrière », a ainsi déclaré le professeur Elliot aux journalistes de The Australian début février 2016.

En conséquence, un élan de solidarité s’est manifesté dans plusieurs villes du pays à travers le hashtag #LetThemStay, faisant allusion aux 243 migrants rapatriés en Australie pour des raisons de santé, mais voués à être réexpédiés de nouveau dans les camps. Une solidarité qui s’est également traduite dans les rédactions de presse, rendant poreuse la frontière entre journalisme et militantisme.

« L’émergence du hashtag #LetThemStay et son utilisation par les journalistes a soulevé la question de l’objectivité journalistique qui est l’un des grands principes du métier » pouvait-on lire dans le média indépendant indien Scroll.in, « mais avec un sujet aussi sensible que les réfugiés en Australie, ce n’est pas envisageable d’imaginer qu’un journal ne prenne pas parti à un moment donné. » Le site indépendant australien Crikey avait détourné ce hashtag dans un article intitulé « Let Them All Come » en appelant le gouvernement de Nauru à laisser entrer librement tous les journalistes afin d’éclaircir une bonne fois pour toutes les conditions de vie des migrants sur place.

Néanmoins, cette censure et cet activisme mènent parfois les journalistes à divulguer de fausses informations. ABC News, un des médias majeurs d’Australie, en a fait les frais. La chaîne s’est excusée publiquement après avoir affirmé le viol d’un enfant de 5 ans sur l’île de Nauru. ABC News a reconnu « des erreurs et des confusions », admettant avoir reçu des informations contradictoires d’un pédiatre sur place, Karen Zwi.

 

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.