Argentine : un journaliste licencié presque en direct

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Victor Hugo Morales. Capture d’écran de la vidéo de son licenciement.

 

Il s’appelle Victor Hugo Morales et est connu en Argentine pour être l’un des plus grands journalistes du pays. Pourtant, le lundi 11 janvier, il a été licencié en arrivant dans son studio, subissant une véritable humiliation. Faute professionnelle ou censure de la part du nouveau gouvernement, les avis divergent. Éléments de réponse.

Victor Hugo Morales est uruguayen, mais il reste l’un des géants du paysage médiatique argentin. Il est notamment célèbre pour son commentaire légendaire lors du but de la main de Maradonna, en finale de la Coupe du monde 1986. Depuis neuf ans, Morales tient deux émissions, « La Mañana » et « Competencia », écoutées par des millions d’Argentins sur Radio Continental. Le 11 janvier dernier, comme à son habitude, le journaliste arrive en avance afin de préparer sa chronique. Mais ce matin-là, rien ne se passe comme prévu. En effet, Victor Hugo Morales voit entrer dans le studio un huissier de justice. D’une voix à peine audible, ce dernier lui lit sa lettre de licenciement. Sans préavis, Radio Continental vient de mettre fin à son contrat alors qu’il travaille sur cette antenne depuis plus de 30 ans.

L’incohérence et les explications

L’huissier n’a pas fini de parler que Victor Hugo, comme l’appellent ses nombreux admirateurs, se précipite dans un studio voisin. Il interrompt l’émission en cours et annonce en direct son licenciement. Pour l’empêcher de s’exprimer, la publicité est alors lancée à l’antenne et couvre ses propos. On le voit attendre au milieu de confrères éberlués avant de reprendre la parole pour donner sa version des faits. Un monologue de treize minutes durant lequel on perçoit l’émotion de l’homme et sa colère. Les accusations contre le nouveau gouvernement pleuvent. Selon lui, les menaces pour la démocratie et la liberté d’expression sont réelles. Ce seront ses derniers mots à l’antenne. En Argentine, le scandale est immense. Ses émissions sont les plus écoutées de Radio Continental et le journaliste une véritable référence.

« Ce que je veux dire à mes auditeurs, c’est que je viens d’être licencié. Je ne pourrai plus faire mon émission, mais je trouverai un moyen pour communiquer. Vivre du journalisme en Argentine est une vraie misère. »

Deux versions différentes 

Pour comprendre le contexte de cette affaire, il faut revenir quelque peu en arrière. Sur le plan politique, Victor Hugo Morales est proche de Cristina Kirchner, présidente de l’Argentine de 2007 à 2015. Mais à la surprise générale, en novembre, lors des élections présidentielles, alors que sont opposés Daniel Scioli, le protégé de Kirchner et Mauricio Macri, le maire de Buenos Aires, c’est le second qui l’emporte. Le journaliste argentino-uruguayen l’avait alors ouvertement critiqué. Ce dernier attribue donc son licenciement à une pression exercée par le gouvernement en place pour le faire taire.

Cependant, selon la radio, ce sont des « manquements aux obligations contractuelles » qui justifie leur volonté de le voir partir. Le journaliste a pourtant assuré son émission tous les jours pendant neuf ans et son contrat n’arrivait à échéance que le 31 décembre 2016. L’annonce telle qu’elle a été faite et le moment choisi ont été perçus comme un manque de respect évident à Victor Hugo Morales, à ses invités, à l’équipe technique, mais également aux auditeurs fidèles qui attendaient leur rendez-vous quotidien. Rapidement, le journaliste a reçu le soutien de très nombreuses personnalités du pays et une manifestation a eu lieu le mardi 12 janvier sur la Plaza de Mayo, véritable symbole du pays.

Lors du dernier rapport de Reporters sans frontières sur la censure de la presse dans le monde, l’Argentine figurait à la 57e position des pays les moins soumis à la censure, sur les 180 que recensait l’étude. Ce classement datant de février 2015, le gouvernement n’est cependant plus le même. Difficile donc de se faire une idée sur cette affaire, mais de manière générale, le pays n’est pas réputé pour sa censure. Quoi qu’il en soit, toute la lumière reste à faire sur ce licenciement qui a déjà beaucoup fait parler de lui.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.