Charlie Hebdo : l’autocensure de CBC ne passe pas

Quelques heures après les attentats qui ont frappé Paris en janvier dernier, les médias du monde entier se sont retrouvés face à un choix épineux : devait-on montrer ou non les caricatures de Mahomet publiées par l’équipe de Charlie Hebdo ? CBC, le réseau anglophone de la chaîne publique canadienne, n’a pas diffusé les fameuses caricatures, contrairement à son pendant francophone, Radio Canada. Une décision qui lui est amèrement reprochée par les auditeurs.

C’est un jour triste pour le journalisme canadien lorsque la question qui détermine ce qui doit être diffusé n’est pas “comment informer ?”, mais plutôt “qui pourrions nous offenser ?”.

Extrait d’un mail envoyé à CBC

Intransigeants. Jusqu’à présent, ils sont 224. 224 fidèles de CBC à dresser un bilan identique et à avoir exprimé leur désarroi. Des plaintes plus ou moins offensives. Des avis plus ou moins tranchés. « Lâche ». « Hypocrite ». « Cynique ». Dans ces courriels reçus par la rédaction, un seul mot d’ordre : CBC a failli à sa mission principale d’information.

C’est votre obligation, en tant que diffuseur national, de faire preuve de courage et de solidarité avec ceux qui sont morts en défendant leur liberté d’expression. Que vous ne voyiez pas l’ironie de votre position fait de vous de mauvais journalistes. Et des lâches. Honte à vous !

Extrait d’un mail envoyé à CBC

Les plaintes relèvent aussi l’absence de synchronisation au sein même du groupe Radio-Canada. En effet, le réseau francophone a décidé de reproduire les caricatures de Mahomet. Et contrairement au réseau anglophone, les rédactions francophones ont confirmé n’avoir reçu « aucune mise en demeure, ni menace de poursuite non plus ».

CBC se justifie

À chaud, il n’était pas difficile de deviner que la question de la diffusion des caricatures allait impliquer des questionnements au sein des rédactions. Ethique oblige. CBC avait d’ailleurs justifié dès le 8 janvier, l’issue de ces interrogations. Jennifer McGuire , la rédactrice en chef du réseau anglophone, avait joué la carte de la transparence. Dans une publication, elle expliquait son choix :

À CBC News, nous avons choisi l’option de la discrétion : montrer certaines de ces caricatures polémiques, mais ne pas montrer celles qui risquaient d’offenser les musulmans parce qu’elles représentaient le Prophète Mahomet. […]  Vous pouvez être un fervent partisan de la liberté d’expression, indigné par les actes des extrémistes et solidaire avec les journalistes français, tout en décidant que vous pouvez couvrir l’événement de manière claire et complète sans publier quoi que ce soit qui pourrait offenser les musulmans ou attiser la haine à leur encontre.

Jennifer McGuire, rédactrice en chef de CBC

Y avait-il un choix meilleur qu’un autre, une meilleure vision du journalisme et du rôle des médias lorsqu’un acte tragique et aussi fort symboliquement frappe un pays, mais dont les vagues se répercutent dans le monde entier ? Non, répond Jennifer McGuire. Elle souligne d’ailleurs qu’au sein même de CBC News, les avis étaient partagés. « Tout ça pour dire que le mot “dilemme” n’existe pas pour rien », ajoute-elle, « souvent il n’y a pas d’alternative parfaite ».

Et le dilemme est valable aussi chez les auditeurs de Radio-Canada, puisque 41 courriels de soutien ont été reçus par la rédaction anglophone. Comme si elle avait déjà imaginé le poids d’une telle décision sur les auditeurs et les réactions qu’elle risquait d’entraîner, Jennifer McGuire s’était préparée. Et la réponse tient en un mot : « journalisme ». Ou plutôt la vision qu’on a du journalisme.

Et c’est le journalisme – l’évènement – qui compte le plus. Si nous avions senti que montrer les caricatures de Charlie Hebdo était nécessaire pour rapporter correctement les événements d’hier, alors nous les aurions publiées.

Jennifer McGuire, rédactrice en chef de CBC

Et pourtant cette réponse n’a pas suffi à certains auditeurs de CBC News. Auditeurs d’autant plus troublés que pour le même média, deux choix ont été fait. En sachant que la question de la langue est particulièrement sensible au Canada, il n’est alors pas surprenant de voir, d’entendre des réactions sur une telle dualité dans un positionnement aussi fort de symbole. C’est par exemple ce que souligne l’un des courriels reçu par la rédaction de Radio Canada : « pourquoi les canadiens de langue française se voient-ils accorder un meilleur accès à l’information ? ».

Et lorsqu’un lecteur, auditeur, spectateur, reproche à un média d’information de justement, ne pas l’avoir assez informé, c’est le média même que l’on remet en question, aussi sérieux qu’il soit, la mission même du média que l’on remet en question.

Tour d’horizon

Canada anglophone ou Canada francophone, la dualité des choix qui ont été faits est assez représentative. À l’image de CBC, les médias anglophones ont été plutôt frileux sur la question de montrer les caricatures. New York Times, CNN, Sky News… Aux États-Unis, ils ont été nombreux à pencher pour cette solution. Tout comme BBC ou encore Time au Royaume Unis. Leur justification ? La même que CBC, à savoir, « prendre en compte la sensibilité des lecteurs ».

Évidemment, tous les médias anglophones n’ont pas suivi cette ligne. Le journal britannique The Economist a publié les caricatures et en a profité pour fustiger CNN : « décrire les dessins et ne pas les montrer revient à obéir aux terroristes. […] Supprimer les dessins pour lesquels ils [les journalistes de Charlie Hebdo] ont perdu la vie, c’est les tuer à nouveau. » Côté francophone, le mouvement a été plus unanime. En France et au Québec du moins, où la majorité des journaux et télévisions ont diffusé les caricatures. Dans un élan commun, douze des plus grands journaux du Québec, dont Le Devoir, La Presse et Le Droit, ont publié l’une des caricatures les plus polémiques du journal satirique, réalisée par Cabu.

La liberté d’expression nous confronte quotidiennement à un dilemme: faut-il être plus raisonnable que les fous en évitant de les « provoquer » ? Ou faut-il continuer, aller aussi loin que possible, pour débusquer l’obscurantisme? Chaque personne tranchera ce dilemme suivant sa conscience. Chaque média le règlera selon sa vocation propre.

Editorial de La Presse

Un dilemme. Tous les journaux y ont été confrontés au lendemain des attaques de Charlie Hebdo. Pas de réponse parfaite. Seulement l’expression de quelques sensibilités culturelles et d’une certaine vision du journalisme. Et il paraît évident que les lecteurs/spectateurs, se sont retrouvés face aux mêmes questionnements lorsqu’ils ont ouvert leurs journaux ou allumé leurs télévisions.

Auteur

Horizons Médiatiques

Le monde raconté par les étudiant·es du Master Nouvelles Pratiques Journalistiques de l'Université Lumière Lyon 2.